ANALYSE. La crise sociétale en Martinique insoluble faute d’un nouveau projet de société

L'intérieur d'un hypermarché, au rayon fruits et légumes.
Nous avons beau retourner le problème dans tous les sens, nous commençons à comprendre que la résolution de la crise actuelle par la refondation de notre société. Ce qui demande du temps.

La crise que la Martinique vit depuis deux mois et demi a du mal à être résorbée parce que nul ne sait comment en sortir. Ce qui se comprend car elle touche aux fondements de notre société, en particulier au schéma de notre économie et à l’organisation de nos institutions politiques. La crise semble insoluble parce que nous ne pouvons pas, d’un claquement de doigts, revoir de fond en comble la manière dont nous vivons.

L’édifice de notre société est si complexe que nous prendrons de longues années avant de parvenir à un certain degré d’autonomie, à savoir la possibilité de décider par nous-mêmes de ce qui nous convient le mieux. La preuve est une nouvelle fois donnée que notre capacité d’initiative et nos besoins ne sont pas traduits dans les politiques de l‘Etat, quelle que soit la couleur politique du gouvernement.

Des résultats remarquables en peu de temps

Ceci dit, les premiers pas obtenus ces dernières semaines ne sont pas négligeables. L’annulation de la TVA et de l’octroi de mer sur 6 000 produits, l’augmentation prévue des crédits de la continuité territoriale, le vote attendu d’une loi spéciale pour le renouveau économique sont des décisions très importantes sur le plan financier. En plus, elles ont été acquises en peu de temps, aussi bien par nos parlementaires que par la collectivité territoriale.

Cependant, ces mesures correctives ne suffiront pas à inverser le déclin de notre économie. Pour cesser d’appauvrir la population, arrêter d’étouffer la créativité de nos entrepreneurs, libérer les forces productives, attirer les investisseurs, il convient de s’orienter vers l’autosuffisance dans des secteurs porteurs créateurs d’emplois, de produits abondants et de services modernes.

Des mesures fortes insuffisantes

Par exemple : l’agriculture nourricière, l’élevage, la pêche et l’industrie agroalimentaire ; les énergies renouvelables ; les services à la personne et la santé ; l’éducation et la formation ; le tourisme de haut de gamme ; l’innovation dans le numérique.

Ces changements radicaux signifient que nous devons tourner le dos au schéma obsolète du pacte colonial. Le Comité Devoir de Mémoire, dans une tribune récente, estime que notre économie reste fondée sur la doctrine de l’exclusif. Elle consistait à favoriser la bourgeoisie de la métropole grâce au monopole sur le commerce. La colonie était contrainte d’exporter ses matières premières vers son pays de tutelle pour développer son industrie et était tenue d’importer des produits venant de ce seul pays.

Prisonniers d’un schéma obsolète

Une analyse partagée par l’économiste Sébastien Mathouraparsad, professeur à l’Université des Antilles. Pour lui, le partage inégal des revenus, l’une des clés de la cherté de la vie, date de l’abolition de l’esclavage. Comme lui, plusieurs autres économistes comme Jean-Marie Nol, Mireille Pierre-Louis ou encore Jean-Michel Salmon insistent sur le poids du passé sur le présent. Hormis le vocabulaire, qu’est-ce qui a changé ?

D’ailleurs, le ministre des Outre-mer est conscient de l’urgence d’un changement. Pour François-Noël Buffet, il faut désormais avoir une vision stratégique pour l’avenir, en dépassant le système actuel. La vérité est dure à regarder en face, mais la regarder en face est salutaire. Il en va de la qualité de l’héritage que nous léguerons à nos descendants.