ANALYSE. La revendication actuelle d’égalité des droits en Martinique prend corps lors du premier conflit mondial

La tombe du Soldat Inconnu à Paris, lieu de receuillement du 11 novembre lors des cérémonies relatives à l'Arsmistice.
La commémoration de l’armistice mettant fin à la première guerre mondiale le 11 novembre 1918, est l’occasion de se rappeler que la Martinique a participé activement à ce conflit. Et ce, au nom du principe républicain de l’égalité des droits, lequel a, étonnamment, une forte résonance dans l’actualité.

Quand le présent se télescope avec le passé, grande peut se révéler la surprise ! Ainsi en va-t-il d’une revendication réactualisée au centre d’une mobilisation populaire qui porte sur l’égalité des droits entre tous les citoyens français. Une demande légitimement fondée sur la devise républicaine. Or, cette exigence est si ancienne que nous oublions parfois son cheminement.

Elle devient réalité quelques mois avant la Première Guerre mondiale. Un grand pas est alors franchi vers la reconnaissance de l’égalité juridique des citoyens français vivant dans les quatre vieilles colonies de Guadeloupe, Martinique, Guyane et la Réunion avec ceux de la métropole. Elle est rendue possible par l’adoption d’une loi votée en juillet 1913, portant le service militaire obligatoire pour les jeunes hommes de deux à trois ans, en l’étendant aux habitants des colonies.

La doctrine de l’assimilation prend corps

Ce texte est la traduction juridique d’une volonté politique, à savoir le paiement de l’impôt du sang comme preuve de notre condition de citoyen français à part entière. En ce sens, la Première Guerre mondiale est un moment essentiel dans le processus de la doctrine de l’assimilation.

Une doctrine qui confine à l’histoire d’amour avec la "mère patrie". Elle prend vraiment corps en ce début de 20ème siècle. La population veut montrer son attachement à la France, quel que soit le prix à payer. L’idée est de démontrer notre indéfectible attachement à la république.

Les soldats créoles sont refusés puis acclamés

Un exemplaire de la convention d'armistice qui acta le cessez-le-feu entre l'Allemagne et la France après 4 ans de guerre, de 1914 à 1918.

Néanmoins, il faut une bonne décennie de bataille à nos parlementaires pour arracher cette victoire symbolique. Les jeunes hommes des colonies sont enfin autorisés à être incorporés sous les drapeaux, mais contre la volonté de la haute hiérarchie militaire. Celle-ci ne voit pas d’un bon œil l’arrivée des soldats créoles. Ils sont considérés physiquement faibles et inaptes au maniement des armes.

Face aux événements, l’état-major est contraint d’atténuer ses préjugés racistes. Au lieu d’une guerre éclair comme l’avaient prévu les stratèges, le conflit s’intensifie. Il faut alors augmenter considérablement les régiments déployés sur le front.

Nos jeunes hommes partent en masse au front

Dans ce contexte, les soldats de nos territoires sont massivement appelés, dès la seconde année du conflit, en 1915. La tâche est facilitée par le fait qu’ils sont volontaires pour aller combattre en Europe. En Martinique, le Conseil général et la plupart des maires y sont favorables. Esseulés, les socialistes, opposés à la guerre, sont vilipendés.

La revendication apparue durant les dernières années de la période esclavagiste peut enfin être honorée. Deux générations après l’interdiction du travail servile en 1848, l’égalité des droits suppose aussi le droit d’avoir l’honneur de se battre pour la France.

Sacrifiés puis oubliés

Cependant, les campagnes de conscription se révèlent plus délicates que prévues. La moitié des candidats au départ sont réformés, pour mauvaise condition physique. Au total, 9 000 soldats martiniquais sont recrutés et 2 000 sont tués sur les fronts de la Marne ou dans le détroit des Dardanelles, entre autres.

Les survivants rapatriés, blessés, gazés ou mutilés, sont accueillis dans une indifférence polie. Au fil du temps, leur sacrifice tombe dans l’oubli, alors qu’ils ont puissamment aidé à la victoire contre l’Allemagne. Ainsi va la vie d’un peuple, entre moments de gloire et parenthèses d’amnésie…