L'auteur, Alain Coudert, instituteur de profession, est un passionné d'audiovisuel. Il a travaillé en tant que producteur-animateur à RFO (aujourd'hui Martinique la 1ère) de 1981 à 1987. Son expérience du terrain, de l'entreprise de l'audiovisuel public, des femmes et des hommes de Martinique, lui ont inspiré ce roman.
L'histoire commence sur la Savane de Fort-de-France, par la découverte du corps d'un ancien journaliste de RFO (marié et aux multiples maitresses), devenu chargé de communication de la principale institution politique du territoire.
Cette mort subite est en réalité un assassinat. Qui en est à l'origine et pourquoi ? Un journaliste de RFO et une inspectrice de police (elle même proche du disparu), mènent une enquête à l'issue surprenante.
Alain Coudert se prête volontiers à l'entretien.
À partir de quelles observations avez-vous écrit ce roman ?
J’ai travaillé à RFO Martinique de 1981 à 1987. J’ai été embauché en radio par Jacques Césaire, à l’époque directeur des programmes sous l’autorité du directeur local Marcel Beaudza. J’ai commencé par une petite émission sur l’histoire du rock’n roll, poursuivi par les matinales et terminé par une émission que j’ai adoré produire et animer "Avec le temps" sur l’histoire de la Martinique par ceux qui l’avaient vécue. Cette dernière émission était co-produite avec Huguette Charlery. J’ai aussi tenu une quotidienne de 3 minutes sur les livres "Le livre du jour" de 1983 à 1987. En télévision, j’ai animé plusieurs émissions littéraires, dont une sur Salvat Etchard qui reste l’un de mes auteurs favoris, et collaboré à "Taxi-Co". A l’époque, nous étions très mal payés, (ça n’a sans doute pas beaucoup changé de ce côté) mais on rigolait bien… J’ai une âme de sociologue autodidacte. Je suis un observateur de milieux. Je me souviens que quelques semaines après mon arrivée, une rumeur a couru sur moi dans l’établissement. J’ai allumé un contre-feu en faisant courir un autre bruit et j’ai vite compris comment fonctionnait la circulation des rumeurs dans l’entreprise. Cela m’a beaucoup amusé et beaucoup appris sur les femmes et les hommes. Il est évident que ma proximité avec RFO m’a inspiré quelques pages de "Tropiques sanglants", comme, par exemple, la prise d’antenne au lendemain d’élections, la séparation bien nette entre BI et BA (bureau d’information et bureau d’animation), la façon dont nous travaillions à l’époque, la rareté des directs en radio comme en télé… J’aborde aussi, mais là il s’agit de fiction par rapport à la période où j’étais à RFO, les problèmes internes du bureau d’information avec des journalistes mis à pied du jour au lendemain pour des raisons pas toujours claires mais toujours en lien avec un quelconque pouvoir local, départemental, national… En résumé, le roman est rythmé d’observations sur ce qu’était RFO à la grande époque de Clairière, sur la fin du film 16mm et l’arrivée de la vidéo, sur les premiers balbutiements de l’informatique, sur certains personnages inspirés de vraies personnes, y compris les deux personnages principaux du livre.
Alain Coudert
La première victime est présentée comme un collectionneur de conquêtes féminines, comme si c'était la caractéristique de la plupart des hommes en Martinique. N'êtes-vous pas tombé dans le cliché facile ?
Hélas, je ne crois pas ! Revoyons l’époque. Déjà quand je suis arrivé à RFO en septembre 81, un technicien m’a avoué : "Avec la nouvelle direction, il n’y a pas eu besoin de circulaire pour qu’on n’ait plus accès aux matelas dans les combles." Le mort de la première ligne de "Tropiques sanglants" est ce que nous appellerions aujourd’hui un prédateur sexuel mais que nous considérions, souvent avec un regard amusé et parfois envieux, comme un simple coq de village. Évidemment, le reste, la fonction, le passé, est pure littérature. Ceci étant, dans le milieu que je fréquentais à l’époque et je crois plus largement dans tous les milieux, beaucoup de personnes, hommes et femmes, "chassaient". N’oublions pas que nous étions juste dans les dernières années avant le sida. J’ai toujours été surpris par l’attitude de certaines femmes elles-mêmes : elles se plaignaient fort justement d’avoir été quittées par les pères de leurs enfants. Or, elles élevaient leurs garçons comme de futurs petits coqs, comme pour se venger dans le futur de ce qu’elles subissaient au présent, en laissant leurs garçons reproduire sur d’autres femmes ce qu’elles avaient elles-mêmes subi de la part de leurs compagnons ! On a là toute la complexité de l’être humain.
Le personnage principal, le journaliste de RFO Philippe Conti, incarne-t-il celui que vous auriez aimé être ?
Philippe Conti est un personnage de fiction. Bien sûr il y a un peu de moi chez lui, mais surtout beaucoup de fiction. Je sais écrire-(J’ai publié une dizaine de livres comme auteur [Ratafia, Castor-Poche-Flammarion, Le Pilosio, Belle Journée en perspective, A. Anna, Des Mots des Livrées) ou comme écrivain fantôme pour la plupart desquels j’ai signé une clause de confidentialité), - filmer et photographier (J’expose actuellement avec ma compagne "Un an dans les vignes", à Panazol, en banlieue de Limoges, une expo documentaire sur un domaine viticole varois). - regarder et écrire encore : j’ai collaboré plus de douze ans, jusqu’à sa disparition, à un journal d’art, Arts Actualités Magazine. Cependant, j’ai conservé un attachement à mon premier métier, celui d’instituteur, pour des raisons matérielles, parce que j’aime transmettre et aussi parce que je n’ai jamais su ni me "vendre" ni écraser les autres ni faire bonne figure quand je n’en ai pas envie ni vouloir plaire à tout prix. Or, le métier de journaliste, et c’est tout à son honneur, est un métier de relations. Je reste un observateur de ce qui se passe autour de moi et un solitaire dans ma tête. De la sociabilité, je n’ai que l’apparence, le vernis. Philippe Conti a hérité de cela chez moi, mais il a tout un tas de qualités que je n’ai pas et donc, lui, peut être journaliste et rapporter le monde par vidéo et écrits interposés. Il est beaucoup plus fort que moi. C’est aussi pourquoi "Tropiques sanglants" sans être un polar à clefs, est un roman plus complexe qu’il n’y paraît : il retrace sans nostalgie toute une époque.
Entre fiction et réalité, l'auteur livre sa vision de la grande maison de RFO Clairière des années 80. Un récit qui ne doit pas occulter la formidable addition de talents qui a construit l'audiovisuel public en Martinique.
L'ouvrage Tropiques Sanglants d'Alain Coudert, est paru aux éditions Moissons Noires.