Chlordécone : la justice est-elle capable de retrouver la confiance des citoyens ?

manifestation du 28 mai dans les rues du Lamentin.
La nouvelle mobilisation populaire contre le scandale judiciaire du chlordécone, ce samedi 10 décembre 2022 à Fort-de-France, sera l’occasion de montrer que la population martiniquaise commence à douter de l’institution judiciaire.

"Non au non-lieu" : ce sera probablement l’un des slogans le plus souvent scandés lors du défilé de rue de ce 10 décembre 2022.

Ce nouveau rassemblement sera le troisième du genre. Celui 27 février 2021 dans les rues de Fort-de-France avait rassemblé entre 5 000 et 15 000 personnes, selon les estimations. 

La population s’était alors largement mobilisée pour ce rendez-vous préparé par un collectif d’une quarantaine d’associations citoyennes, de militants écologistes, de personnalités et de forces politiques. Des rassemblements similaires s’étaient tenus simultanément en Guadeloupe et à Paris.

Agriculture et chlordécone.

 

Une seule et simple exigence avait été formulée par les manifestants : justice et respect. Justice pour les victimes directes et indirectes de l’exposition au pesticide utilisé dans les bananeraies. Respect pour la dignité des peuples de Guadeloupe et de Martinique.

Cette fois, l’indignation est à son comble depuis la décision du procureur du tribunal de Paris de demander un non-lieu aux deux juges d’instruction en charge de l’enquête.

Une longue enquête judiciaire sabotée ?

 

Comment comprendre que ce magistrat décide, en son âme et conscience, qu’il n’y a pas lieu de poursuivre quiconque ? Pourtant, les responsables du délit d’empoisonnement ont été identifiés lors des auditions de la commission parlementaire d’enquête présidée par le député Serge Letchimy, en 2019. Le rapport d’enquête est donc ignoré par le parquet de Paris ?

Comment soutenir que les plaintes déposées depuis 2006 sont trop tardives par rapport aux faits incriminés ? Pourtant, le pesticide a été stocké et vendu au moins jusqu’en 2007. Et ce, bien au-delà de 1993, la date limite de son autorisation de son gouvernement.

Les arguments du procureur avaient été avancés, selon la même logique, par les deux juges d’instruction en charge du dossier, en janvier 2022. Leur annonce, qui avait le mérite de la franchise, avait suscité une vague d’indignation. Or, tout indique que les importateurs du pesticide et les ministres ayant signé les autorisations litigieuses étaient parfaitement informés de la dangerosité de ce pesticide.

Il n’est plus à démontrer que la dangerosité de la molécule de chlordécone est documentée et connue depuis 1963. Des essais en laboratoire mettent en évidence sa toxicité chez la souris. En juin de la même année, la firme américaine United Fruits Company qui traite ses bananeraies au Panama et au Costa Rica avec un pesticide comprenant la molécule met en évidence sa nocivité pour le milieu ambiant.

  Un poison utilisé en toute connaissance de cause

Les magistrats du tribunal judiciaire de Paris sont-ils conscients que le Code de procédure pénale ne les prémunit pas contre un déni de justice ? A savoir, un préjudice causé à un justiciable par l’Etat, comme le stipule la loi du 5 juillet 1972. La Cour de cassation a précisé, en 2001, que toute déficience traduisant l’inaptitude de la justice à remplir sa mission est constitutive d’une faute lourde.

Ces magistrats peuvent-ils comprendre que la confiance en l’institution judiciaire peut s’éroder lorsqu’elle ignore à ce point la demande légitime d’une victime de désigner le responsable de l’infraction qui lui causé un préjudice ? Le Code civil est éloquent à cet égard. Il prévoit, en son article 1240, qu’un dommage causé à autrui oblige son auteur à réparation.

Il est évident que ces manifestations n’auraient jamais dû avoir lieu. Il est totalement anormal que des citoyens réclament, dans la rue, que les tribunaux remplissent leur mission. Il est profondément choquant que l’institution judiciaire annonce qu’elle prendra probablement la décision de ne pas poursuivre des responsables d’un délit.

Ces magistrats pensent-ils vraiment qu’une quelconque institution peut se dresser contre le peuple quand il réclame vérité, justice et respect ? Sont-ils conscients de la faute morale qu’ils s’apprêtent à commettre ?