Dans une analyse adressée à la presse, André Lucrèce s'est penché sur "les vraies raisons" selon lui, de la décroissance démographique observée par l’INSEE depuis les années 60. D’après l'écrivain-sociologue, pour beaucoup de jeunes, notre société "se révèle peu attractive".
Selon les derniers chiffres de l’INSEE, la population martiniquaise était estimée à 359 820 habitants au 1er janvier 2020. Deux ans auparavant (au 1er janvier 2018), l’île comptait 368 783 âmes et d’après l’Institut, en une décennie, le territoire aurait perdu 34 000 de ses enfants, entre décès, recul des naissances et émigration de la jeunesse.
La Martinique connait donc "une indiscutable décroissance démographique" confirme André Lucrèce. Dans son analyse, il nous ramène au début des années 60, où "les moins de vingt ans constituent 50% de la population martiniquaise (…), dans une situation économique défavorable". Les usines sucrières ferment progressivement, une crise qui touche les travailleurs agricoles rappelle-t-il.
Deux immigrations en résultent : l’une vers Fort-de-France avec le développement d’une ceinture populaire autour de cette ville et l’autre vers la France qui exprime à cette époque un important besoin de main- d’œuvre.
"Émigration massive", via le BUMIDOM
Pour le sociologue, la création du BUMIDOM (Bureau pour le développement des Migrations dans les Départements d’Outre-Mer) par le gouvernement de l’époque, a aussi été à l’origine de la démographie.
Le BUMIDOM, entre 1963 et 1981, provoquera le départ de 85 863 antillais en âge de procréer, soit 50 078 hommes et 35 585 femmes, auxquels il faut ajouter les départs volontaires hors la filière du bureau des migrations.
Cette incitation au départ très clairement voulue et organisée par les autorités françaises, sera contestée vigoureusement par un certain nombre d’intellectuels.
André Lucrèce se souvient que certains de ses aînés écrivains avaient dénoncé cette politique migratoire. C’est le cas d’Edouard Glissant ou encore d’Aimé Césaire, qui a qualifié cette initiative de "génocide par substitution" en novembre 1977 à l’Assemblée Nationale.
Cette politique migratoire annonçait alors la transition démographique, y compris la situation démographique actuelle, marquée par le vieillissement de la population, dont il faut analyser les causes avec lucidité.
On évoque très spontanément la réalité du chômage pour expliquer le départ des jeunes. Ce lieu commun, aux deux sens du terme, n’explique pas tout.
L’auteur note en effet que le chômage a légèrement baissé en 2019. "Ce recul s’explique par une augmentation du nombre d’emplois alors que la population active est stable en 2019" précise l’INSEE à ce propos.
Moins de naissances qu’avant
A partir des années 1970, la chute de la fécondité est un phénomène qui s’amplifie dès lors que les moyens contraceptifs ont permis aux femmes de maîtriser leur fécondité.
On est passé d’un taux de fécondité de 6 enfants en moyenne en 1965 à un taux de 3 enfants dix ans plus tard, avant d’en arriver à un taux de fécondité en dessous de 2 enfants aujourd’hui.
Il est clair que les mutations socio-culturelles sont à l’origine d’une telle évolution.
"Aller vivre là-bas", l’horizon des plus jeunes
Sur le plan professionnel, l’observateur souligne que "la mondialisation implique aussi la possibilité d’une expérience de vie ailleurs, là où les perspectives sont profitables". Mais "ce n’est pas seulement pour certains, un problème de chômage qui provoque le départ, mais bien un problème sociétal."
"Une société peu attractive"
Pour exercer ce qu’on pourrait appeler "le métier de vivre", la Martinique, (comme la Guadeloupe d’ailleurs), est devenue une société peu attractive qui dans la vie quotidienne, produit chez les citoyens protestation et récrimination.
Qu’il s’agisse des relations sociales trop facilement conflictuelles, de l’accès au logement, des problèmes de transport, de l’accès à l’eau, de la formation universitaire ou de l’appétit de connaissances, etc., notre société pour beaucoup de jeunes cherchant l’épanouissement, ce qui est leur droit le plus absolu, se révèle peu attractive.
"On ne peut analyser le départ des jeunes Martiniquais sans prendre en compte cette dimension de moins en moins attachante du pays où un sentiment de mal-être se fait sentir, particulièrement chez les jeunes" conclut le sociologue martiniquais.