Comme nous le savons, un sondage est une méthode consistant à prélever un échantillon de l’environnement que l’on souhaite étudier. Ainsi, le géologue prélève des fragments du sol pour analyser les caractéristiques de celui-ci. Dans le même ordre d’idées, le sondage d’opinion dessine une photographie de la population pour connaitre ses points de vue sur une ou plusieurs questions. Il faut alors en extraire un modèle réduit, une maquette comprenant les caractéristiques de cette population.
Nous savons que l’opinion publique évolue au gré des événements et des circonstances. Un peu comme un paysage que nous prendrions en photo. A l’instant T, notre appareil ne capte pas le merle qui vient de se poser sur la branche du flamboyant au milieu du cadre. A l’instant T2 suivant, l’oiseau apparaît sur le second cliché.
Deux photos, deux représentations de la réalité. Il en va de même du paysage social. Il convient de répéter les prises de vue, mais il est tout aussi impératif de disposer d’un instrument fiable de mesure. La multiplication des analyses ne suffit pas en soi si la méthode choisie est inadéquate.
Des indicateurs inopérants
D’où l’impérieuse nécessité de construire un échantillon le plus fidèle possible pour comprendre les motivations de l’électorat. Or, l’indicateur le plus souvent utilisé par les instituts spécialisés se résume à une question rédigée à partir d’une liste de candidats déclarés ou pressentis du type : « Si l’élection avait lieu aujourd’hui, pour quel candidat voteriez-vous ? ».
Les experts s’accordent à dire désormais que cet indicateur est inopérant. Charlotte Taupin, directrice de la société d’études d’opinion Happydemics estime, dans une tribune du quotidien Le Monde, que personne n’avait prévu la victoire de François Hollande en 2012, l’effondrement des partis traditionnels, ou l’irruption du candidat Emmanuel Macron, pour lequel aucun sondage n’avait prédit la victoire en 2017.
De nombreux sociologues et politologues estiment que les instituts de sondage sous-estiment le fait que la base de leurs études, la population-mère pour employer leur vocabulaire, ne cesse d’évoluer. Les mutations de la société, profondes ou superficielles, ne sont plus forcément captées par les instruments de mesure utilisées, faute d’adaptation.
En 1965, pour la première élection présidentielle, les candidats étaient moins nombreux qu’aujourd’hui, les citoyens adhéraient volontiers à des partis politiques, les clivages étaient clairs et nets. Prévoir le résultat final était moins risqué qu’il ne l’est en 2022, le paysage idéologique ayant été profondément bouleversé ces soixante dernières années.
La prévision n’est pas la prédiction
A la veille des élections régionales et départementales de 2015, le politologue Vincent Tiberj mettait en exergue, dans Le Monde, ce qu’il considère comme des lacunes de l’échantillonnage et des questionnaires effectués par internet, et non plus par téléphone.
Par exemple, la sous-représentation des territoires ruraux, en butte à la fracture numérique ; la sur-représentation des seniors diplômés, plus disponibles que les actifs pour passer du temps à répondre à une enquête ; la faible importance donnée aux jeunes. Autant de biais méthodologiques pouvant invalider les enquêtes d’opinion, selon lui.
En clair, ce n’est pas tant le sondage qui est en cause, mais leur construction et leur perfectionnement. Que fait un photographe consciencieux quand son appareil lui donne des clichés flous ? Il achète le dernier modèle et il poursuit son travail d’utilité sociale. A bon entendeur !...