En Haïti, la tragédie n’empêche pas l’amour ni la vie

L'écrivain haïtien Dimitry Elias Léger.
A lire toutes affaires cessantes le premier roman de Dimitry Elias Léger, un auteur haïtien écrivant en américain. "God loves Haïti" raconte les premiers moments ayant suivi le tremblement de terre meurtrier de janvier 2010. L’auteur est invité du premier festival de littérature, "En pays rêvé" présidé par Viktor Laszlo.

"Goudougoudou". L’onomatopée créole désigne pour les Haïtiens le bruit généré durant 35 brèves et interminables secondes par le séisme apocalyptique qui a détruit une bonne partie du pays en janvier 2010. Ce mot revient souvent dans "God loves Haïti"  le premier roman d’un écrivain haïtien prometteur, Dimitry Elias Léger. Il dessine avec minutie les contours complexes d’une histoire d’amour tragique, au sens grec antique du terme.

Unité de lieu, l’aéroport de Port-au-Prince. Unité de temps, les premiers jours d’après la catastrophe. Unité d’action, l’inaction en réalité des acteurs sidérés par le drame. Les trois protagonistes de l’histoire sont à l’avant-scène de cet excellent récit romancé – à moins qu’il ne s’agisse d’un roman réaliste.

On y voit le président du pays, veule et pragmatique, lâche et compatissant ; sa jeune femme Natasha épousée par amour alors qu’elle, artiste-peintre libre d’esprit l’épouse pour fuir la misère au lieu de filer le grand amour avec l’amour de sa vie ; et Alain, jeune chef d’entreprise prometteur et fantasque, utopiste et casse-cou. 

Récit romancé ou roman réaliste ?

L’essentiel de l’histoire se déroule à l’aéroport. Pourquoi là ? Parce que le couple mal assorti fuit le pays, en dépit des réticences de Natasha, vers un exil doré en Toscane. Et aussi parce qu’y est implanté le plus grand camp de réfugiés après la catastrophe.

Dès la première phrase du roman, le lecteur plonge dans le chaos : "Sur un monceau de gravats de cinq mètres de haut, où, un instant plus tôt, une dizaine de Casques bleus fumaient en bavardant à l’ombre rafraîchissante du vaste aéroport, à l’abri du féroce soleil caribéen, une jeune femme criait, appuyée sur les coudes, la robe en lambeaux, l’un de ses talons brisés".

Parmi les constantes de l’histoire : "le féroce soleil caribéen" comme l’écrit l’auteur ; le pays maudit, qui reste debout ; ce peuple qui n’a pas su inverser la dynamique de la misère ; ses élites incapables d’accomplir leur devoir historique ; la surpuissance étasunienne ; l’omnipotence de l’Eglise catholique.

Ce livre est aussi un formidable cri d’amour pour le pays natal - pays rêvé, mais aussi pays réel – et pour ses habitants, tourneboulés par le goudougoudou mais aussi résilients, ayant vécu pire par le passé. Un roman tiré de l’expérience vécue par Dimitry Elias Léger, né en 1971, vivant à New York, diplômé de Harvard, journaliste puis conseiller à l’ONU. C’est à ce titre qu’il est missionné là-bas, chargé durant six mois de veiller à la sécurité des femmes et des fillettes dans les camps de réfugiés.

Le titre de son roman, "God loves Haïti", n’a pas été traduit en français par "Dieu aime Haïti". Peut-être parce que le texte a été écrit en américain. Une œuvre se situant volontiers dans le courant du réalisme magique ou réalisme merveilleux de ses grands prédécesseurs comme les Haïtiens Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis, Jean Métellus ou du Colombien Gabriel Garcia Marquez. Un livre-témoignage à lire d’ici 35 secondes.

 

"God loves Haïti" de Dimitry Elias Léger, Caraïbéditions, 2021, traduit de l’anglais (américain) par Jacques Imbert.