En l’absence de projet de société, le moment est-il venu d’une modification des institutions en Martinique ?

Élus de Martinique lors des sénatoriales (24 septembre 2023).
Reçus à déjeuner à l’Elysée vendredi 20 octobre 2023, certains de nos élus en sont sortis déçus. Ils pensaient obtenir un calendrier pour enclencher un changement de statut ou une modification des institutions des collectivités d’outre-mer, mais il n’en a rien été.

La déception est perceptible chez nos élus qui pensaient obtenir un calendrier pour enclencher un changement de statut ou de modifications des institutions des collectivités d’Outre-mer. Seule la Kanaky/Nouvelle-Calédonie sera concernée par la prochaine révision de la Constitution. Ce processus est prévu par les Accords de Matignon et de Nouméa. Le territoire attend un nouveau statut afin d’éviter un vide juridique et de prévenir les tensions politiques.

Le chef de l’État a néanmoins consenti à nommer deux experts pour étudier la faisabilité des modifications du cadre juridique des collectivités relevant des articles 73 et 74 de la Constitution. Précisément, de celles dont les exécutifs ont signé l’Appel de Fort-de-France en mai 2022 : La Réunion, Mayotte, Saint-Martin, Guadeloupe, Guyane et Martinique. Leurs présidents réclament un changement de modèle économique et des responsabilités étendues, comme l’a rappelé Serge Letchimy après un déjeuner qui l’a laissé sur sa faim.

Avant de toucher à la Constitution, une tâche délicate en l’absence de majorité parlementaire, le chef de l’État exhorte nos élus à trouver un consensus dans chacun des territoires concernés. Or, pour la seule Martinique, cet accord général sur un toilettage du cadre juridique n’existe pas encore au sein du congrès des élus.

Le moment est-il venu ?

En admettant qu’un consensus se dessine, un nouveau cadre juridique donnera-t-il vraiment aux communes et à la collectivité territoriale les moyens de résoudre les problèmes quotidiens de la population ? Ce cadre permettra-t-il réellement de dessiner des perspectives ambitieuses ? Autrement dit, le statut fait-il le pays ?

N’est-il pas impératif de construire au préalable un projet de société et définir par la suite les institutions les plus susceptibles d’appliquer ce projet ? Lequel doit être nécessairement élaboré avec la participation active de toute la population puis avec son assentiment.

File d'attente devant un bureau de vote au Morne-Rouge (mars 2020).

Pour y parvenir, nous disposons d’un tissu associatif dense, diversifié et dynamique. Nous avons des chefs d’entreprises et des porteurs de projet soucieux d’innovation. Dans chaque ville existent des militants politiques aguerris. En outre, le pays regorge d’experts dans toutes les disciplines.

Il est évident que ces forces vives doivent être consultées sur ce que pourrait être la Martinique de demain. Ce qui suppose de désigner un cap à partir d’objectifs à atteindre en prévoyant les moyens pour y parvenir. Un projet se fonde sur des valeurs morales, des principes éthiques et une culture. Ses orientations doivent être déclinées dans un programme politique.

Le préalable du projet de société

Un programme qui définit le type de développement économique et social, la forme de gouvernement, l’organisation des institutions, la place des citoyens. En plus, dans notre cas, nos rapports avec l’État, que nous souhaitions rester ou pas au sein de la République française.

Aimé Césaire déclarait au congrès du Parti progressiste martiniquais (PPM) en octobre 2005 : "Nous devons proposer aux Martiniquais une grande idée, une motivation : en bref, un projet de société". Alfred Marie-Jeanne, le président du Mouvement indépendantiste (MIM) en a souvent parlé, lui aussi. Pour eux, toutes les composantes du peuple doivent s’entendre sur une manière d’envisager un avenir commun.

Or, qui mobilise le peuple pour réfléchir en ce sens ? Qui prépare le peuple à dépasser notre mode de fonctionnement actuel pour aller plus loin, pour envisager une éventuelle rupture ?

Sommes-nous capables de nous inspirer d’Aimé Césaire et d’Alfred Marie-Jeanne ? Ces deux grands chefs politiques ont voulu tous deux nous amener vers la responsabilité et l‘émancipation. Qui en est capable aujourd’hui ?