La "Tragédie du roi Christophe", la plus célèbre pièce d’Aimé Césaire jouée à Fort-de-France

Les comédiens stagiaires de la section théâtre du SERMAC (Service Municipal d'Action Culturel) de Fort-de-France, pour la pièce "La tragédie du roi Christophe" d'Aimé Césaire, programmée au théâtre municipal du 23 au 25 juin 2022.
Près d’un demi-siècle après sa création, La Tragédie du roi Christophe revient à partir de ce jeudi (23 juin 2022) au Théâtre Aimé Césaire à Fort-de-France. La pièce est interprétée par les stagiaires du SERMAC (Service Municipal d'Action Culturelle de Fort-de-France). Les représentations ont lieu jusqu’à samedi 25 juin à 19h.

C’était en février 1976. La Martinique accueille en ce deuxième mois de l’année un événement exceptionnel avec la visite de Léopold Sédar Senghor. Le poète et chef d’État sénégalais est venu voir son ami Aimé Césaire. Il inaugure au passage le premier vol direct entre Dakar et Fort-de-France.

Léopold Sédar Senghor a emmené avec lui la troupe de théâtre Daniel Sorano. Dix ans plus tôt à Dakar, elle avait interprété La Tragédie du roi Christophe lors du premier Festival mondial des arts nègres, dont Aimé Césaire était le vice-président.

Le comédien Marc Chonville (à gauche de la photo), dans le rôle du roi Christophe.

Écrite en 1963 par Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe est créée par Jean-Marie Sérreau un an plus tard à Salzbourg, puis à l’Odéon à Paris. L’acteur sénégalais Douta Seck joue le rôle du monarque. Le comédien martiniquais Yvan Labéjof  et l’icône haïtienne Toto Bissainte font partie de la distribution.

En février 1976, à l’occasion du voyage historique de Senghor, La Tragédie du roi Christophe est enfin présentée pour la première fois sur l’île. Trois représentations ont lieu à Fort-de-France. Le public martiniquais est impressionné par le jeu de Douta Seck.  

Il est temps de mettre à la raison ces nègres qui croient que la Révolution ça consiste à prendre la place des Blancs et continuer, en lieu et place, je veux dire sur le dos des nègres, à faire le Blanc.

Extrait de La Tragédie du roi Christophe

Douta Seck a incarné à la perfection le drame de l’esclave devenu président puis roi en 1811 en Haïti. Christophe n’est pas aimé de ses sujets. Craignant le retour des Français, il se fait construire une forteresse équipée de 200 canons en haut d’une montagne quasi inaccessible et un palais de 365 portes.

À marche forcée, Christophe veut faire entrer les siens dans la modernité. À un visiteur anglais, l’amiral Sir Home Propalm, qui lui fait remarquer à l’époque qu’il épuise son peuple de travail, le roi Christophe expose ainsi sa vision :

  • " Vous ne comprenez pas que ma race est aussi ancienne que la vôtre. Sauf à Haïti, nulle part sur le globe les nègres n’ont pas su vous résister. Partout ailleurs nous sommes devenus des bêtes, et comme le bétail sous le fouet, nous nous sommes soumis. Pourquoi ? Parce que Monsieur, nous manquons d’orgueil, et nous n’avons pas d’orgueil parce que nous n’avons pas de souvenirs. Écoutez, Monsieur, vous entendez le chant d’un tambour. Quelque part, mon peuple est en train de danser. C’est tout ce que nous avons ".

Christophe connaîtra une fin tragique. Victime d’un AVC qui le paralyse, il fait face à la révolte d’une partie de son armée. La contestation finit par s’étendre. Ne pouvant plus la contenir, il choisit de se suicider en se tirant une balle dans la tête.

Le comédien Aymeric Brigitte dans le rôle de l'opposant Pétion.

En 1963, lorsqu’Aimé Césaire publie La Tragédie du roi Christophe, il ne raconte pas seulement une histoire antillaise. C’est certes une pièce sur la lutte du peuple haïtien pour sa liberté mais elle évoque aussi par ricochet le drame de la décolonisation de l'Afrique.

La lutte pour l’indépendance coûte beaucoup de sang et de larmes, c’est un acte héroïque, mais c’est relativement facile comparé aux problèmes qu’il faut résoudre, une fois l’indépendance conquise. Car c’est à ce moment-là que la lutte difficile commence, que la lutte pour la libération prend son sens. C’est à ce moment-là que se présentent les grands problèmes : liberté, démocratie, ou autocratie. À ce moment-là, on lutte pour soi-même, il n’y a plus d’alibi possible.

Aimé Césaire

Cinquante-neuf ans après sa parution, La Tragédie du roi Christophe reste d’actualité. Elle revient sur scène cette semaine à Fort-de-France. Elle est interprétée cette fois par une troupe montée de toute pièce par le SERMAC, à l’issue d’un casting réalisé auprès des stagiaires de son atelier théâtre.

La troupe est hétéroclite. Elle est composée d’étudiants, de salariés et de retraités, soit une trentaine de comédiens. Elle a répété d’arrache-pied pendant trois mois sous la direction de l’artiste, auteur et metteur en scène Élie Pénnont.

Les acteurs ont des diversités qui ont permis de créer une troupe dynamique, motivée et investie. Le rôle du roi Christophe est tenu par Marc Chonville. C’est un comédien de 31 ans très prometteur. Le rôle de l'opposant Pétion est tenu par Aymeric Brigitte. Il a 25 ans. Très prometteur également, il fera ses débuts sur la pièce. Pour nos comédiens, jouer la pièce d’Aimé Césaire est un honneur.

Mélinda Vivies - Administratrice de la troupe théâtre du SERMAC

Comme en février 1976, trois représentations de La Tragédie du roi Christophe sont programmées à 19h au Théâtre Aimé Césaire à Fort-de-France. La troupe du SERMAC se produit ce jeudi 23, le vendredi 24 et le samedi 25 juin, veille de l’anniversaire de la naissance du poète.