Journée internationale des droits des femmes : portraits de femmes "doubout' "

De gauche à droite : Cindy Lagier, Madeleine de Grandmaison et Blandine de Jaham.
Trois femmes. Trois parcours très différents. Des routes qui ne se sont peut-être jamais croisées mais des valeurs communes. Le courage et la volonté pour tracer le sillon de leur chemin. Bribes d'une vie intense de Blandine de Jaham,  Madeleine de Grandmaison et Cindy Lagier. 
La Martinique pour terre de naissance. Terre des ancêtres. 
Blandine de Jaham n'est pas née avec une cuillère dorée dans la bouche. Non. Elle a eu beaucoup plus en héritage. Une grand-mère "doubout' ". De son prénom May. Veuve à l'âge de 42 ans. 9 enfants à charge sur 13. Blandine sera la 14e à rejoindre la famille.
Blandine de Jaham est chef d'entreprise.
La petite fille qu'elle était, a vu sa grand-mère reprendre des études de comptable en 1967 lorsque son grand-père décède.
Pas question pour une mère de famille, que l'on dit "nombreuse" aujourd'hui, de se plaindre.

Pas le choix sinon celui de relever ses manches. Ici, on ne réclame pas. On avance sans montrer sa peine. La fierté de nourrir cette grande tablée matin, midi et soir. Et de ne rien devoir à personne. Sinon à la vie qui vous porte. Et qui vous enseigne le socle qui vous façonne. Patience, persévérance et respect.
 

Réaliser ses rêves et devenir indépendante


La petite Blandine capte les émotions, s'imprègne de valeurs. De celles que l'on réalise plus tard. Bien plus tard quand il faut partir et se construire. Réaliser ses rêves. Et faire face. Une marque de fabrique qu’elle a dû s’employer à mettre en œuvre.

Après des études d’architecte d’intérieur, elle est revenue en Martinique et a dû se faire une place dans un métier "réservé" aux hommes.

En tant que femme, on vous demande de faire encore plus vos preuves. Avant de gagner la confiance de votre milieu professionnel. Mais j’ai toujours aimé les défis.

 

Des femmes courage exemplaires


May, la grand-mère, est partie. Son devoir accompli. Sa photo trône sur le bureau de celle qui restera toujours la petite fille, aux yeux écarquillés, timide à jamais comme elle le confie "sauf dans mon travail" mais femme accomplie.

"Lorsque je me décourage, je la regarde et je lui dis…Toi, tu es allée bien plus loin que moi...et cela me redonne de l’énergie". Comme sa mère "partie de rien" dit-elle.

Des exemples de femmes courage. Femmes "doubout' " comme elle le dit. Et le revendique.

Du haut de ses 1m 80. Une taille qui en impose dans un monde d’hommes plus habitués il y a une trentaine d’années, à voir des confrères masculins sur les chantiers, elle se fait une place comme architecte d’intérieur spécialisée dans la marbrerie.

Pour Blandine de Jaham, 54 ans, la journée internationale des droits des femmes, c'est dire aux femmes de

Ne jamais baisser les bras, écouter mais avancer. Se dire que nous avons autant de valeur que les hommes. Les femmes doivent croire en elles. Toujours.


Aujourd’hui, l’une de ses deux filles, la benjamine, travaille à ses côtés dans le cadre d’un contrat d’apprentissage et de ses études de gestion-comptable. "J’apprends à ma fille l’entreprenariat et elle me transmet ses connaissances. On apprend des aînés et des plus jeunes". Une sorte de chaîne d’union à échelle familiale. Ainsi va la vie.
 

Madeleine de Grandmaison une femme engagée 


Un livre ouvert. Une page...non ! Des pages de l’histoire de Martinique.

À 82 ans Madeleine de Grandmaison a tant à transmettre, de son parcours, de ses luttes, de ses valeurs.

Écrire en quelques lignes un tel chemin de vie est un défi
Madeleine de Grandmaison, l'une des rares femmes de la vie politique martiniquaise (années 1990 à 2010).
Dans ce regard se lit tout un parcours. Une détermination. Une vie gagnée sans concession.

Derrière la femme politique, la députée européenne (2004-2009), celle qui a assuré la présidence du comité martiniquais du tourisme de 2003 à 2010, auteure du livre "Une voix pour le Nord- le Nord mon terroir, la Martinique mon pays" a de l’énergie à revendre.

Pionnière en politique, cette femme passionnée délivre au détour de l’entretien, quelques vérités.

Il y a 37 ans, nous étions deux femmes en tout et pour tout en Martinique à faire campagne pour les municipales. Les femmes nous demandaient si nous avions un mari et des enfants !  Les hommes disaient qu’ils ne voulaient pas se laisser commander par une femme.

Des remarques qui la stimulaient encore plus pour faire campagne.

Petite fille née dans une famille pauvre mais dont les parents se relèvent les manches chaque jour pour éduquer et nourrir une famille de neuf enfants, elle doit aussi faire face aux moqueries des autres.

Elle est dyslexique. "Mon père m’a appris à lire en décomposant les mots après sa journée de travail aux champs. Je suis allée à l’école à l’âge de 8 ans et je savais lire et écrire !".

"On nous traitait de tous les noms parce que nous étions adventistes". Pas de quoi effrayer la petite Madeleine. "On ne nous a pas appris à tendre l’autre joue quand on reçoit une gifle". De quoi prendre de la graine pour sa future vie politique.

La religion adventiste que mes parents avaient choisie nous a ouvert sur la culture et sur l’éducation. Mais dans notre famille, nous avons tous eu le choix de notre religion. Je veux juste dire que l’instruction a été mon ascenseur social.

"Je ne suis pas une femme poto mitan pour le bien-être de Monsieur"


De l’amour d’un père, elle puisera sa force. Du courage de sa mère qui vendait des légumes au marché de Fort-de-France et revenait à pied à Ajoupa-Bouillon elle puisera une volonté de fer. Et elle abattra des montagnes.

Aujourd’hui, 8 mars 2020, journée internationale des droits des femmes. Elle peut regarder dans le rétroviseur son parcours.

A l’âge de 14 ans, Madeleine part à Saint-Pierre pour ses études au collège. Avec une bourse d’études qu’elle doit gérer. Compter. Un sou est un sou.

La famille ne roule pas sur l’or. "J’ai toujours mangé à ma faim et su gérer mes crédits chez la boulangère et l’épicière".

Une bourse d’études qu’elle aura jusqu’à son agrégation. Avec des prix d’excellence qui s’empilent d’année en année. Des études de sciences naturelles à Bordeaux jusqu’à l’enseignement en Martinique.
 

Je ne suis pas une femme poto mitan pour la cuisine et le bien-être de Monsieur ! Je suis une femme de gauche, passionnée par la vie, fondamentalement césairiste. Je porte des valeurs de solidarité et des valeurs identitaires. Je sais qui je suis. De l’esclavage de mes ancêtres, je ne veux pas de réparation financière mais un vrai développement économique pour la Martinique. Lorsque vous avez du travail vous pouvez prendre vos responsabilités. C’est important pour les femmes".


Les femmes martiniquaises sont trop restées dans l'ombre


"Le 8 mars journée internationale des droits des femmes … Ça m’inspire quand même des redites et des redites, des petites piqûres de rappel des avancées et du travail qui nous reste à accomplir. La femme martiniquaise doit bien avoir conscience qu’elle est un élément essentiel de la société. Elles ont fait les hommes de la Martinique !".

Elle prône la transmission de l’histoire de la Martinique et la conscientisation pour les générations montantes. "Si on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où aller".

Un livre ouvert de Madeleine de Grandmaison qui aujourd’hui "demande juste à la vie de me laisser encore trois ou quatre ans pour continuer à écrire J’ai envie de rendre compte. Je veux laisser une trace, il faut que mes enfants sachent !".
 

Cindy Lagier une citoyenne à l'UFM 


A 29 ans, Cindy Lagier n’est pas une femme militante ni engagée. Elle n’aime pas les étiquettes.

L’éducation reçue de ses parents lui a appris à s’investir dans la société. C’est tout simplement naturel.

Ses parents lui ont transmis des valeurs : donner son opinion, faire partie du changement des mentalités et des préjugés envers les femmes et poursuivre le travail accompli par les générations précédentes.
Cindy Lagier, formatrice de profession.
Formatrice et chargée de prévention à l’UFM  (l’Union des femmes martiniquaises), Cindy fait sienne la lutte pour le droit des femmes.

Par exemple le droit de s’habiller comme elles le veulent. "On ne juge pas les hommes pour un caleçon qui dépasse de son pantalon, par contre une femme habillée un peu court ou autre va être jugée et ouvertement. Elle va entendre des réflexions, des bruitages de la part des hommes,  voire subir des gestes déplacés".

Au-delà d’un exemple souvent vécu quotidiennement par les femmes, Cindy Lagier veut "apporter sa pierre à la construction de l’édifice pour une société plus juste".
 

 Des femmes ont gagné des luttes pour leurs sœurs, c’est aussi pour leur rendre hommage que nous nous mobilisons le 8 mars ».


Pour Cindy, il n’y a pas de priorité dans les actions à mener pour les droits des femmes. "L’égalité homme-femme dans le domaine professionnel, l’accès à des métiers encore "réservés" aux hommes dans le bâtiment, dans l’ingénierie, l’informatique …à des postes gradés dans l’administration et dans l’armée entre autres".

Et puis, une image de la femme qui reste à faire évoluer notamment dans les campagnes publicitaires.

Cindy Lagier forme des gendarmes et des professionnels dans le milieu social et médical. Apprendre à repérer et à questionner les femmes victimes de violence par exemple. Comment ne pas les culpabiliser par des mots mal choisis.

Mais elle dénonce aussi les discours stéréotypés sur les hommes. "Ce n’est pas en dévalorisant ce qu’ils font que nous aurons plus de respect. Il faut savoir que de plus en plus d’hommes et de tous les milieux viennent nous voir pour nous demander de l’aide pour des femmes victimes de violence. C’est une belle avancée".

Aujourd’hui, pour Cindy, l’important est de voter. "Des personnes se sont battues pour ce droit. Je suis femme, jeune et noire et je vote. N’oublions pas que nous n’avons pas obtenu le droit de vote en même temps entre noirs et blancs".

Avec pédagogie, le combat pour une société plus juste, où chacun prend sa place et ses droits, continue à se construire, pas à pas. 
Grâce à toutes ces femmes.