Jean-Marie Nol est connu pour ses tribunes incisives. Dans sa dernière publication parue sur le site fondaskreol.org (le 19 septembre 2021), l’économiste et retraité de banque développe longuement sur ce qu’il appelle une "crise aiguë intellectuelle et culturelle" dans les îles sœurs, depuis le début de la crise sanitaire.
Cette crise du Covid interroge les rouages de notre humanité à l’aune de questionnements tant éthiques que métaphysiques. Avec, en toile de fond, la question de la mort ravivée par la pandémie et ses dégâts collatéraux au CHU. Mais aussi celle de la survie de notre économie (…).
Pour autant, le débat est biaisé tant en Guadeloupe qu'en Martinique par l'outrance et la vacuité des propos tenus sur les réseaux sociaux.
"Inculture"
En Martinique, Jean-Marie Nol note "une production intellectuelle résiduelle pour les seuls vieux intellectuels maintenant sexagénaires voire septuagénaires".
L’auteur semble regretter l’élite d’avant, d’autant qu’il estime qu’une partie "des jeunes n’ont plus leur place dans le débat d'idées pour cause d'inculture, hormis un déferlement de billevesées sur le Net". Jean-Marie Nol lance une pierre au passage dans le jardin de la presse, "des médias qui se contentent de traduire plutôt que de produire".
Nous assistons aux premiers chocs d’un problème qui va aller croissant au cours de la décennie à venir, à savoir la perte de légitimité des élites confrontée à la nouvelle réalité implacable du populisme des syndicalistes, englués dans leurs obsessions identitaires et l’impossible continuation d’une Guadeloupe en panne de projet, et d'une Martinique pilotée à vue par Paris.
Fuite des cerveaux
"La Guadeloupe et la Martinique doivent méditer rapidement le fait que leur actuel modèle de développement datant du début de la départementalisation est aussi vieux qu'inadapté aux exigences de la révolution numérique, de l'intelligence artificielle, et de la transition écologique".
"Or, penser l’avenir, anticiper les défis futurs imposent de pouvoir compter sur une élite très diverse et constamment rajeunie" ajoute l’économiste, résolument tourné vers l’avenir.
En Guadeloupe et en Martinique, "les meilleurs cerveaux fuient en France hexagonale et à l'étranger. Et plus grave, cette frange élitiste originaire des Antilles ne tient pas à revenir au pays".
"Nivellement par le bas"
On est confronté à l’affaiblissement de la capacité de la société à se transformer elle-même par le renouvellement de la pensée idéologique.
La scène des idées n’en finit plus de basculer en Guadeloupe et en Martinique dans la médiocrité.
Je déplore le nivellement par le bas dans les référentiels du programme pédagogique de l'université des Antilles.
En pleine crise de visibilité, on se demande à quoi servent les universitaires d'aujourd'hui ?
"La lutte des races"
Aujourd’hui, les nouvelles situations d’incertitude (insécurité croissante, malaise identitaire, difficulté à résoudre les conflits sociaux, perte d’exemplarité des hommes politiques…) ont provoqué un ressenti d’impuissance de la part d’intellectuels incapables de donner du sens à une population guadeloupéenne et martiniquaise désemparée et vulnérable en termes de manipulations par des activistes et syndicalistes, qui ont remplacé la lutte des classes par la lutte des races, notamment en ce moment même en Martinique.
"Des idées noiristes"
Au débat sur la lutte du droit des peuples à s'auto-déterminer librement s'est substitué la violence insidieuse des idées noiristes.
Avec sa plume acerbe, à priori en quête d'un électrochoc collectif, l’observateur parle d’"une désorganisation mentale progressive de la société antillaise qui a fini par briser ses ressorts intellectuels et culturels", et il s’interroge plus loin : "Comment on explique la disparition en moins de deux générations, d’élites intellectuelles antillaises, et pourquoi on a pu niveler la pensée vers le bas à ce point ?".
"Des légions d’imbéciles"
Ce phénomène est certainement en grande partie lié à la montée de l'échec scolaire mais également à une rupture provoquée par l’apparition des réseaux sociaux et aussi à la plus grande liberté d’expression de chaque personne.
Et je repense à cette citation d'Umberto Eco :
"Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui avant, ne parlaient qu'au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd'hui, ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel".
"Il n’existe plus de lieux féconds de production de la pensée" en Guadeloupe et en Martinique regrette l’analyste. "À partir de ce moment-là, il est difficile d’avoir une pensée constructive, intégrant l’avenir".
"Imaginer le futur"
Dans ces situations, le retour au passé, à la tradition, est toujours une tentation alors qu’il s’agit de penser le présent et d'imaginer le futur.
La prédominance (depuis des lustres) dans le débat du thème de "l’identité culturelle", mis aujourd’hui à toutes les sauces, est une manifestation de la décomposition du lien social.
Aux yeux de l’ex directeur de banque, ce qui a détrôné les joutes de l’ancienne génération de penseurs guadeloupéens et martiniquais, ce sont "des individus en mal de repères idéologiques au discours creux, des jeux de rôle, des personnages fades, presque des caricatures".
Quel projet pour demain ?
Après ces constats sans complaisance, Jean-Marie Nol se demande in fine, où est le projet collectif de demain ?
Un individu qui grandit a besoin d’un projet de vie personnel, une société qui grandit a aussi besoin de se projeter dans l’avenir, besoin d’un projet d’émancipation.
Eh bien c’est de l'absence de ce projet dont on pâtit aujourd’hui, et pas qu’en Guadeloupe et en Martinique, mais aussi en France hexagonale.
Et là, les intellectuels, pas seulement les penseurs, ont un défi qui est à relever, sinon dans le cas d'espèces, le choix de pensée ne pourra s'opérer demain, que dans la formulation hégélienne d'être et du néant.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette tribune "met les pieds dans le plat", comme le dit lui-même Jean-Marie Nol. Grâce à cette liberté de ton, le retraité de la finance dit sans doute tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.
D'ailleurs, il écrit régulièrement des chroniques sur l'économie et la société en général, dans plusieurs titres de la presse écrite des Antilles et sur des pages web.
Jean-Marie Nol, né d’un père guadeloupéen et d’une mère martiniquaise, est aujourd’hui âgé de 64 ans. Il est titulaire d’un DEA et d’un DESS d’économie et de gestion des collectivités locales.
Découvrez l’intégralité de sa dernière publication intitulée "l’intolérable appauvrissement intellectuel et culturel en Guadeloupe et en Martinique"… À LIRE ►ICI