L’insurrection de septembre 1870 déstabilise le pouvoir avant d’être réprimée dans le sang par l’armée. Deux décennies après l’interdiction de l’esclavage de 1848, le peuple révolté porte de nouveaux coups au régime colonial, sans réussir à le mettre à bas. Néanmoins, le courage et le sacrifice du millier d’insurgés peuvent être considérés comme l’émergence d’une certaine communauté de destin, d’une nation.
La révolte populaire est contenue dans le sud de l’île par l’armée. Les militaires dressent une véritable barrière pour empêcher l’embrasement général. Les incidents éclatent en septembre, mais leur genèse remonte au mois de février, par une altercation sur la route entre Rivière-Pilote et Marin.
Elle oppose un fonctionnaire à cheval, Augier de Maintenon, et un jeune entrepreneur, à pied, Léopold Lubin. Le cavalier ordonne au piéton de le laisser passer. Lequel refuse, avant de recevoir des coups de cravache. Lubin porte plainte, sans suite. En avril, il se venge.
Le peuple se soulève contre l’injustice
Arrêté, il est condamné à cinq ans de bagne. La population refuse ce verdict inique. À Rivière-Pilote, elle réclame le désarmement des colons et la libération de Lubin. Le 22 septembre, l’habitation Mauny est incendiée. Son propriétaire, Cléo Codé, se vante d’être à l’origine de la condamnation de Lubin.
Puis c’est le feu, partout. En trois jours, 27 plantations sont incendiées à Rivière-Salée, Sainte-Luce, Saint-Esprit, Marin, Vauclin, Sainte-Anne. Des incidents ont lieu aussi à Sainte-Marie, Basse-Pointe et Lorrain. Les insurgés sont repliés sur la propriété d’Eugène Lacaille, à Rivière-Pilote. Il dirige les opérations avec, notamment, Louis Telga, Daniel Bolivard, Lumina Sophie.
Le gouverneur décrète l’état de siège. Il écrit à son ministre de tutelle que ces événements constituent « l’insurrection la plus redoutable qui ait menacé l’existence d’une de nos grandes colonies, depuis la révolte de Saint-Domingue. » La référence à l’indépendance d’Haïti est claire. Il n’est pas question pour la France de perdre la Martinique, sept décennies plus tard.
La répression est impitoyable
Les soldats sont impitoyables face aux insurgés. Le bilan officiel s’établit à une centaine de civils tués. Certains historiens estiment plus réaliste le chiffre de 500 victimes d’exécutions sommaires par les militaires. La justice prend le relais. Le conseil de guerre, un tribunal d’exception, prononce en décembre 1871 huit condamnations à mort et quatre-vingt-dix condamnations au bagne en Nouvelle-Calédonie et en Guyane.
Parmi les condamnés, Lumina Sophie, de son vrai nom Marie-Philomène Roptus. Cette jeune ouvrière de 22 ans, véritable meneuse d’hommes, participe aux combats alors qu’elle est enceinte. Elle accouche d’un garçon, Théodore, qui lui est volé à sa naissance. Elle s’éteint huit ans plus tard au bagne de Saint-Laurent du Maroni, victime de traitements dégradants.
Le gouvernement réussit à écraser dans l’œuf toute nouvelle tentative de révolte. Cruel paradoxe, la république est restaurée après la démission de l’empereur Napoléon III, à la suite de la défaite de la France face à la Prusse. Or, c’est la république, réclamée par les insurgés martiniquais, qui réprime. Pourtant, le peuple avait choisi de s’émanciper sous la protection de l’Etat, débarrassé du despotisme de Napoléon III, et contre la toute-puissance des colons.
Le malentendu dure longtemps. Le sentiment d’inachevé de notre citoyenneté constatée par certains aujourd’hui encore, trouve probablement écho dans le ressentiment des insurgés de septembre 1870.