L’enquête judiciaire visant à déterminer les responsabilités dans le scandale environnemental affectant les Antilles est sur le point d’être conclue. C’est ce qui ressort des auditions des plaignants par les magistrats du tribunal de Paris, les 20 et 21 janvier 2020.
La justice a ses raisons que la raison ignore. C’est la dure et prosaïque réalité opposée aux victimes de l’épandage du chlordécone. Qui peut rester insensible à la forte probabilité d’un non-lieu dans ce dossier ? Le non-lieu signifie qu’il n’y a lieu de poursuivre quiconque pour des infractions commises ni d’en indemniser les victimes des infractions.
Au-delà des questions de procédure, cette décision attendue va à rebours de l’attitude actuelle des pouvoirs publics. En septembre 2018, le président Macron déclarait que le scandale environnemental dans lequel l’Etat a sa part de responsabilité doit ouvrir le droit à l’indemnisation des victimes. L’opinion publique l’a cru sur parole.
Un autre moment fort a été les auditions de la commission parlementaire d’enquête présidée par le député de Martinique Serge Letchimy dont le rapporteur était la députée de Guadeloupe Justine Bénin. Ces audiences ont été largement suivies. Nous avons pu entendre le silence gêné d’un importateur du produit toxique. Nous avons pu nous alarmer de la disparition de certaines archives du ministère de l’Agriculture, finalement retrouvées.
Enfin, le plan Chlordécone-IV, dont l’ambition est de mettre en œuvre des solutions pérennes de dépollution de l’environnement et de soutien à une agriculture saine a été lancé. Un dispositif jugé insuffisant et sans audace pour plusieurs acteurs du dossier.
Une institution judiciaire décevante
Ces moments positifs n’empêchent pas les militants écologistes et plusieurs scientifiques en pointe sur le sujet depuis une quinzaine d’années de formuler des critiques récurrentes. Ils estiment insuffisantes les mesures proposées. Ils disent que l’administration est trop lente à se mettre en mouvement depuis la déclaration du chef de l’Etat.
Des observations relayées par quelques rares dirigeants politiques. Lesquels sont appelés dorénavant à porter le dossier, si la justice est défaillante. Les plaintes déposées depuis 2006 en Guadeloupe et en Martinique semblant s’enliser dans les sables du code de procédure pénale, n’est-il pas temps de doubler la dimension judiciaire du dossier d’une dimension politique ?
Ceci dit, les avocats des plaignants n’ont pas encore baissé les bras. Ils travaillent à d’autres arguments de droit, notamment la mise en danger de la vie d’autrui, la tromperie, ou l’administration de nuisances nuisibles. Des délits passibles de prison.
L’institution judiciaire se grandirait si elle tenait compte enfin de la souffrance des victimes qui attendent réparation. Elle a été au rendez-vous pour les scandales du sang contaminé, de la vache folle ou du "Mediator". Pourquoi serait-ce différent pour le scandale du chlordécone ?