La marche de la faim du 11 février 1935 donnera naissance à la 1ère Union Syndicale de Martinique 

Rassemblement des ouvriers de la canne en 1935 à la mairie de Fort-de-France.

Il y a 86 ans, le 11 février 1935, des ouvriers agricoles se lèvent courageusement contre la diminution de leurs salaires. De leur mouvement naîtra la 1ère union syndicale de Martinique.

Lundi 11 février 1935, le jour se lève sur Fort-de-France. Le calme qui règne autour de l’Hôtel du Gouverneur va bientôt être perturbé par l’arrivée de centaines de "marcheurs" venus des campagnes. Des ouvriers de la canne manifestent pour la toute première fois dans la capitale. Leur misère s’affiche sans complexe face à une petite bourgeoisie foyalaise, effrayée.

Des familles entières sont dans la rue pour réclamer de quoi se nourrir. Les ouvriers veulent l’annulation immédiate de la dernière baisse des salaires, et la libération de leur camarade, Iréné Suréna, le meneur de la grève.

(Re)voir le récit de Cyriaque Sommier, William Zebina et Patrice Chateau-Degat.

La célèbre marche des ouvriers agricoles marque le début du syndicalisme en Martinique.

Dans la 1ère partie du 20e siècle, l’économie agricole de l’île a connu des fortunes très diverses. Les grands propriétaires de plantations ont réalisé d’énormes profits durant la Première Guerre mondiale, quand la demande en rhum était très forte dans les tranchées.

Usine de canne à sucre en Martinique dans les années 20-30 (illustration).


La journée de travail passe de 10 à 8 Francs

 

Entre les deux guerres l’activité retombe logiquement, mais les choses se gâtent réellement sur les plantations lorsqu’après la crise le 1929, la France durcit sa politique coloniale et décide de limiter les importations de sucre et de rhum.


Au début de l’année 1935, grands planteurs et patrons d’usines affirment être au bord de la ruine.

Ouvriers de la canne à Fort-de-France.

Ils demandent au gouverneur d’entériner une baisse "spectaculaire" de 20% des salaires. La journée de travail d’un ouvrier va passer de 10 à 8 francs, selon une logique particulièrement cynique : le prix du rhum à la revente va, lui aussi, baisser de 20%, ce qui permet de diminuer les salaires pratiquement "sans conséquence" sur le budget des familles.

Un mépris qui, après les coupes salariales de 1900, 1922 et 1928 ne passe plus du tout auprès de tous ces ouvriers précaires, embauchés à la journée. D’autant que certains savent que les caisses ne sont pas vides. 

Iréné Suréna mène la grève 


 
Employé à l’usine de Petit Bourg, Iréné Suréna prend le mouvement à son compte. Il rédige des contre-propositions, propose des alternatives aux diminutions salariales.

Il pense être en négociation lorsque, le 21 janvier, le décret actant la baisse est publié par le gouverneur.
Une nouvelle grève marchante est immédiatement lancée.

Le chef syndical Iréné Surena.

La tension monte dans les usines et autour des habitations, où les incendies se multiplient. Le dimanche 10 février, Suréna reçoit la visite surprise du très zélé commissaire Ancinel qui veut l’accompagner chez le gouverneur pour rouvrir les négociations. 

Arrivés au niveau du quartier Lourdes, à Ducos, leur véhicule est intercepté par plusieurs fourgons de gendarmerie. Suréna est emmené à la prison de Fort-de-France, mais des témoins lancent l’alerte.

L'assassinat du journaliste André Aliker, qui s’est produit un an plus tôt, est encore dans tous les esprits.
Les ouvriers craignent que le même sort ne soit réservé à leur délégué syndical.

Ils se rassemblent, le soir même au Morne Pitault, dans les hauteurs du Lamentin pour marcher vers Fort-de-France. La "grande ville" que la majorité d’entre eux n’ont encore jamais vue.

Au petit matin, les grévistes se rassemblent devant l’hôtel du gouverneur puis se dirigent vers le "cercle des blancs", près de la bibliothèque. Des gendarmes à cheval ont été appelés en renfort. Ce qui fait craindre le pire.

C’est Victor Sévère, le maire, qui parviendra à éviter le massacre en s’interposant avec autorité.

Le maire Victor Sévère s'oppose à l'intervention des gendarmes contre les ouvriers.

Quelques békés seront molestés. Le commissaire Ancinel va fuir devant la foule, qui obtiendra en fin de journée l’annulation de la baisse des salaires et la libération d’Iréné Suréna.

En pleins préparatifs des célébrations du tricentenaire de la colonisation cette grève s’est donc terminée sans mort ni blessé.

Une victoire en demi-teinte pour des ouvriers agricoles dont la charge de travail sera encore augmentée.

La marche de la faim donnera toutefois naissance, quelques mois plus tard, à la première Union Syndicale de Martinique qui sera bientôt affiliée à la CGT.