Dans la vie de Laurence Alger, il y a une date qui compte plus que celle de sa propre naissance : le 8 mars 2018. Cette date est gravée à tout jamais dans la mémoire de cette quadragénaire martiniquaise qui a vu le jour et passé une partie de son enfance en Seine-Saint-Denis.
Elle habite d’abord à Stains où sont installés ses parents. Employés comme aides-soignants à l’hôpital, ils déménagent ensuite à Chatenay Malabry. Peu à peu, la famille s’agrandit. L’ainée Laetitia Alger et la cadette Laurence accueillent la venue de Vanessa puis Christopher et Michael.
Nos parents nous apprennent à parler le créole dès notre plus jeune âge, les récits de mon père sur son enfance à Rivière Pilote et le repas dominical aux senteurs des épices de la Martinique nous transportent sur notre île, sans oublier les séances de ménage orchestrées par les vinyles de Kassav, la Perfecta et tant d’autres qui nourrissent notre amour pour les Antilles.
Laurence Alger
En 1995, la mère de Laurence Alger est enceinte de Léa, son sixième enfant. C’est un évènement dans la famille. Elle décide de venir accoucher en Martinique en emmenant tous les autres. C’est un chamboulement pour les trois filles et deux garçons qui s’installent avec leurs parents à Chateauboeuf.
À son arrivée en Martinique, Laurence Alger est inscrite en 4e au collège Dillon 1. De son propre aveu, elle n’était pas bonne élève, mais ça a été paradoxalement la meilleure année de toute sa scolarité. Tout s’est joué en vérité à quelques détails près.
Entendre mes professeurs s’exprimer en créole et porter l’uniforme, c’était génial, sans oublier les petits coups de règles sur mes mollets pour me stimuler en cours de maths. Ma mère, nous a offert avec ce séjour un apprentissage de notre histoire et une immersion dans nos racines qui n’a pas de prix. Puis, le moment est arrivé de retourner dans l’Hexagone. Impossible alors d’écouter du zouk sans pleurer. Ça a été la grande dépression pour moi. Le " gwo pwèl " a été mon ami pendant plusieurs semaines.
Laurence Alger
Entre-temps, Océane est née en 2001. C’est la dernière de la famille. Laurence Alger couve sa petite sœur qui a 20 ans de moins. La différence d’âge lui donne l’impression d’être sa maman, d’autant qu’elle-même fait ses premiers pas dans la vie active. D’abord des remplacements dans les services de soin au sein de l’établissement où travaillent ses parents, puis un poste d’agent administratif, avant d’entrer à la direction des Hôpitaux de Paris.
Au bout de quinze ans, Laurence Alger change radicalement de voie. Elle intègre l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), un établissement public placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Sur le plan professionnel c’est l’embellie. Sur le plan personnel, c’est tout l’inverse : un drame s’abat sur la famille.
Le 8 mars 2018, Océane, la petite sœur de Laurence, âgée de 17 ans, se suicide à la gare d’Évry-Courcouronnes. Victime d’une arnaque aux chèques volés montée par son petit ami, elle se couche sur les rails à l’arrivée d’une rame de RER. Le choc est fatal. La famille est dévastée.
Notre Océane a décidé de nous quitter. De ce jour, une partie de moi, de nous, est morte. On ne vit pas, on survit face à cette perte. Pourquoi ce choix violent ? La réponse, elle nous l’a écrite, avant de partir ce jeudi 8 mars 2018 à 6H45. Mais pourquoi ne nous a-t-elle pas parlés ? Chacun d’entre nous porte à sa manière sa peine, mais ne la partage pas. Pourquoi ? Parce qu’Océane avait toujours le sourire. Avec ce souvenir d’elle joyeuse nous ne pouvons pas sombrer.
Laurence Alger
Depuis le départ de sa petite sœur, Laurence Alger est sur tous les fronts judiciaires. Elle a fait condamner l’ex petit ami qui a arnaqué Océane avec des chèques volés, fait condamner la banque pour négligence, fait condamner également un jeune homme qui a publié sur les réseaux sociaux la photo du corps mutilé de l’adolescente.
À ce jour, sur quatre procédures, la famille Alger a obtenu trois condamnations. Le dernier procès se tiendra dans les prochains jours, le 8 mars 2022, soit exactement quatre ans après le drame. Par ailleurs, Laurence a créé l’association "Prévention Océane".
Comme son nom l’indique l’association a pour but de faire de la prévention face aux arnaques, partage de contenus inappropriés et le suicide, mais également d’alerter les différentes institutions pour qu’une prise de conscience collective se fasse. Si ma voix, si le récit de mes actions peuvent aider, voire sauver une vie, je continuerai à apporter mon témoignage car trop de personnes sont dans le silence, de peur du jugement des autres ou par ignorance de ce qui est mis en place pour les victimes.
Laurence Alger