Rarement une visite ministérielle aura été aussi attendue en Martinique. Deux mois et demi après l’émergence de la crise sociétale profonde que nous subissons, un représentant du gouvernement se décide à venir constater sur place les dégâts occasionnés par les inadmissibles exactions commises contre de nombreuses entreprises, sur le réseau routier et sur les infrastructures.
Il est à espérer qu’il va prendre en compte aussi le moral de la population, victime d’une anxiété qui dure interminablement.
François-Noël Buffet, ancien président de la commission des lois du Sénat, est un responsable politique expérimenté. Élu au Sénat depuis 20 ans, il a eu à maintes reprises la possibilité de toucher du doigt les problématiques complexes liées au système en place dans les territoires périphériques. Nul doute qu’il a préparé avec soin ce déplacement exceptionnel. Non seulement il dure trois journées et demie, mais en plus, il se situe au beau milieu d’une crise apparemment insoluble.
Le ministre aura l’occasion d’annoncer des décisions prises en haut lieu. Il est attendu sur la restauration de l’autorité de l’Etat. Autorité au sens où la puissance régalienne est la seule susceptible d’exercer certaines missions. La première est la sécurité des biens et des personnes, mises à mal depuis de longues semaines.
Restaurer l’autorité de l’Etat
Le ministre pourrait donner le bilan du déploiement d’une compagnie de CRS, qui a suscité de vives critiques. Or, nous savons tous que l’insécurité est générée par l’ampleur inégalée du trafic de drogues et d’armes qui pourrit notre société.
Des chiffres et des dates sont attendus sur l’arrivée des moyens humains et techniques supplémentaires attribués à la police, à la gendarmerie, aux douanes et aux magistrats. Les promesses sans cesse renouvelées de ses prédécesseurs restent sans effet à ce jour.
L’autorité concerne aussi le rétablissement des missions des organismes publics de contrôle de l’activité économique. L’Observatoire des prix, des marges et des revenus est à ce point inefficace, que la collectivité territoriale va détacher quelques-uns de ses fonctionnaires pour aider cet organisme placé auprès du préfet. Il en va de même pour la Direction de la concurrence, démantelée au fil du temps, qui mériterait d'être réhabilitée.
Sur un plan plus global, le ministre devra valider, ou pas, la thèse selon laquelle le modèle de société actuel est arrivé à son terme. Il n’empêche plus l’appauvrissement de la population. Il gêne l’expansion de l’agriculture et de l‘industrie. Il n’offre plus de perspectives d’insertion à nos jeunes. L’ancien ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, expliquait la cherté de la vie dans nos territoires par l‘insuffisance de la création d’emplois. Une déclaration effectuée lors de la publication du rapport Hajjar, en juin 2023.
Un nouveau projet de société en gestation ?
Emmanuel Macron, lors de son déplacement à la Réunion en octobre 2019, le disait déjà :
"Si la vie est chère c'est parce qu'on n'a pas suffisamment développé la production locale et parce qu'il y en a quelques-uns, en quelque sorte, qui ont tout pris pour eux, ne nous mentons pas".
Le Président de la République française(Presse)
Il concluait sa déclaration à Saint-Denis en ces termes : "J'ai une priorité : réinvestir dans le développement économique et la création d'emplois".
Ce qui est valable à la Réunion l’est dans les autres territoires et donc en Martinique. Sans création d’emplois, pas de créations de richesses, pas de baisse du chômage et pas de rééquilibrage entre la production et l‘importation.
Cette analyse est-elle encore valable au sein de l’exécutif ? Autrement dit, le gouvernement est-il convaincu qu’il est temps de changer radicalement de modèle économique et de modèle politique ? C’est peut-être la réponse la plus importante attendue de ce déplacement, le premier pour un ministre qui se dit à l’écoute.