On connaissait le guitariste-chanteur, qui a interprété Georges Brassens en créole. Voici le poète qui émerge, avec une plume ciselée pour manier la langue française dont il est amoureux. Sam Alpha exprime aussi ses maux enfouis, depuis l’Espagne où il s’est installé.
L’auteur, compositeur, interprète et chanteur Sam Alpha revient sur le devant de la scène, non pas en musique, mais avec des poésies dans son premier recueil intitulé "Poèmes DOM".
"Allons doucement, car nous sommes pressés", c’est un peu la devise de Sam Alpha qui regarde "paisiblement" le temps s’effilocher, "sans aucune pression", car désormais sa carrière d’artiste est derrière lui, mais il n’a pas abandonné la guitare pour autant.
C’est avec cet instrument et sa tessiture basse, qu’il a adapté plusieurs morceaux de Georges Brassens en 3 volumes (Je Vous Salue Marie / Les copains d'abord / Doudou ban foyal, etc...)
Depuis ces trois productions, le "Brassens créole" comme on le surnomme dans le milieu, a décidé de prendre du recul.
Il faut dire que l’artiste (retraité d’une grande administration française), a toujours nourri le sentiment d’un "manque de gratitude", singulièrement de la part de ses compatriotes antillais a-t-il confié à son entourage. Mais l’homme est trop discret, trop modeste pour s’en plaindre publiquement.
"Douleur indélébile"
Ghislaine Gadjard, ex consultante pour la culture à l’UNESCO, ancienne conseillère pour le théâtre et l’action culturelle pour le ministère français de la culture (en Guadeloupe et en Île-de-France), a signé la préface du recueil "Poèmes DOM" de Sam Alpha.
Il se dégage de lui une grande douceur, une sincérité et une ouverture à l’autre, mais empreinte de questionnement.
J’ai été bouleversée par la douleur indélébile que le manque de reconnaissance par ses Antilles natales, malgré le Prix de la SACEM pour l’ensemble de son œuvre.
Dans son ouvrage, Sam Alpha évoque l’amour.
Amour, désamour, désamour, amour...
Déjà mort amour, quittons-nous Madame.
Oubliez ma cour, j’oublierai tout court ;
Amour, désamour c’est jeu bas de gamme (...).
Il évoque aussi la nature, des souvenirs, les rapports humains. Sam Alpha parle également d’Aimé Césaire.
Nègres d’ici, nègres d’ailleurs
Nègres de sang et de viscères
Jamais n’auront chantre meilleur ;
Pas plus en vaudou qu’en rosaire (...).
Le panthéon est cénotaphe
Césaire est dans son sol natal ;
C’est ce que prétend l’épitaphe
Mais son trépas est-il total ? (...)
L’auteur fait en outre un clin d’œil à son mentor Georges Brassens, raconte une histoire d’animal cocufié, des aventures en mer, aborde l’amitié et le rapport à Dieu.
Je crois en vous mon Dieu, mais vos ministres sont
Devenus, s’ils n’étaient déjà, de simples hommes
Qui prêchent l’abstinence en se conduisant comme
Des maîtres dispensés d’observer leurs leçons (...).
Je crois mais je me dis, absorbé par l'absinthe,
Il n'y a plus de saints ni sans doute de saintes ;
Les libertins vont jusqu'à la pédophilie. (...)
Sam Alpha s'exprime par ailleurs sur la mort, "vivre et gésir en paix, tel est le cycle...Amen"
Être mortels quand la mort, elle, est immortelle,
C’est le sort de ceux qui ne sont démons ni Dieu
Que ciel et enfer ont toujours à portée d’yeux
De leurs espions mouchards, nos anges de tutelle (...).
Des souvenirs d’enfance sont racontés en Martinique... de Fort-de-France à Grand-Rivière.
J’en suis parti gamin, j’y reviens bon vieillard...
Fort-Royal peut hurler que je lui fais offense
À Grand-Rivière sont mes souvenirs d’enfance.
Lors vagues déferlaient de Lav à "Kaz Maillard"...(...).
Grand-Rivière est encore évoqué (page 43 du recueil ) et pour cause...
Ma destination finale ?! Peut-être Grand-Rivière...peut-être.
En tous cas, la route de Grand-Rivière s’arrête juste sous la fenêtre de ma cousine.
Sam Alpha a en effet des attaches familiales dans cette commune de l’extrême nord, dont sa grand mère était originaire.
"La connerie humaine aussi"
Et c’est ainsi que l'auteur laisse vagabonder son inspiration dans ce premier recueil de 95 pages, en délivrant encore ses mots...et ses maux, à travers des scènes du quotidien, le folklore, l’amour, la vie..., "la connerie humaine aussi" ajoute-il. Ce voyage poétique éclectique commence depuis son île natale, la Martinique et nous conduit jusqu’en Espagne, où il s’est installé ces dernières années.
C’est là que l’octogénaire continue de rédiger des poèmes à l’issue de sa marche matinale quotidienne, ou après une bonne table.
Tantôt il se livre à la photographie (son autre passion), ou alors il attrape sa guitare "pour qu'elle ne m'oublie pas" dit-il. Sam Alpha qui a fêté ses 80 ans le 15 mars 2021, laisse échapper cette petite phrase au détour de notre conversation :
Je ne voudrais pas mourir, sans revoir mon pays.
"Poèmes DOM" est publié par Vérone Éditions.