Le chef de l’Etat alimente les clivages de la campagne présidentielle

Emmanuel Macron, en décembre 2021 à Paris
Le débat sur la vaccination prend une tournure polémique après les déclarations du président de la République dans un quotidien national paru ce 5 janvier 2022. Il y stigmatise le dixième de personnes non vaccinées en des termes suscitant aussi bien critiques qu'approbation.

Au cas où nous ne l’aurions pas compris, le président de la République en exercice est candidat à sa succession. Il ne s’est pas encore déclaré comme tel, mais il donne de nombreux signes de son envie de descendre dans l’arène, en participant au débat, voire en le provoquant.

Ses déclarations aux lecteurs du quotidien Le Parisien se situent dans ce droit fil. « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu'au bout. C’est ça, la stratégie » répond-t-il à l’un des sept lecteurs du journal. Lequel l’interpelle sur l’occupation à 85% des lits des services de réanimation par des patients n’ayant pas reçu de vaccin contre le virus SARS-Cov-2.

Le président veut embêter, taquiner, titiller, voire harceler le dixième de la population qui n’a pas encore pris le vaccin contre le virus Sars-Cov-2. Il faut comprendre l’emploi du verbe « emmerder » dans ce premier sens, et non dans le second, trivial. Il a voulu attirer l’attention sur la situation critique dans les hôpitaux, avec un personnel à bout de nerfs et des capacités d’accueil en voie de saturation. Il a souhaité aussi faire comprendre à cette minorité combien elle se coupe d’une vie sociale normale.

Entre condamnations et compréhension

 

Admettons. Il reste à savoir comment sera perçue et interprétée ces déclarations du chef de l’Etat par les quelques cinq millions de personnes visées, dans toute la France. Et comment seront compris ces mots aux Antilles et en Guyane, où plus la moitié de la population n’est pas vaccinée ?

En les brusquant, le chef de l’Etat prend le risque de braquer les réticents contre ce geste médical. Ce risque est calculé, le président constatant qu’une majorité de citoyens est favorable au passe vaccinal. Il pense s’appuyer, au-delà de son électorat supposé, sur de larges fractions de la population qui manifeste une certaine impatience vis-à-vis des personnes non vaccinées.

Cette sortie du président est diversement appréciée. Les groupes d’opposition parlementaire ont sévèrement critiqué le chef de l’Etat, comme il se doit. Le politologue Jérôme Fourquet, de l’institut de sondages IFOP, estime sur France Infos que « ce message est contreproductif et risque d'accroître les tensions dans le pays ».

Le président sortant, candidat putatif

 

Le chef de l’Etat a aussi déclaré dans cet entretien au Parisien que les personnes non vaccinées sont irresponsables. « Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen ». Il reste à déterminer si le président est investi du droit de définir qui relève de la qualité de citoyen. Qui lui donne ce pouvoir juridique et moral d’exclure telle ou telle catégorie de personnes du jeu politique ?

Par ces déclarations calculées et assumées, le président sortant alimente le caractère clivant de la campagne électorale. Il n’est pas le seul dans ce cas. Pourquoi pas, après tout, si ses positions tranchées finissent par révéler sa vision du pays et dessiner l’incarnation de la fonction qu’il entend assumer de nouveau ?

A trois mois du premier tour de l’élection présidentielle, lui comme certains de ses concurrents seraient bien inspirés de lire ou relire l’un des précurseurs de la philosophe politique, Nicolas Machiavel. Dans son ouvrage le plus abouti, Le Prince, publié en 1515, il avertit le souverain qu’il doit éviter deux écueils en toutes circonstances, la haine et le mépris.