Dans cette grande pièce, aux allures de friperie, de grandes étagères côtoient de longs portants de vêtements. Dans la pièce à côté, un peu plus petite, ce sont des dizaines de paires de chaussures qui occupent tout un pan de mur. Il s'agit de dons qui une fois récupérés puis triés, se retrouvent ici et peuvent être choisis par les aides-soignants, en fonction des besoins de leur service.
Les résidents n'ont pas de vêtements personnels, certains n'ont pas de famille. Donc on vient à la banque de linge et on récupère des chemises, des tee-shirts, des chaussures en fonction de la taille des résidents hommes ou femmes.
Des fois on prend des draps, des taies d'oreillers aussi parce que ce n'est pas suffisant, on n’en a pas en quantité.
Et puis des petits produits pour faire des soins, de l'eau de colonne, de la crème, du savon, des choses comme ça.
Les besoins en vêtements sont bien réels. Sans cette aide, les résidents seraient habillés de casaques ou pire. "Un jour, j'étais choqué, j'ai vu un homme habillé en femme. Ça m'a marqué", raconte Thomas, un bénévole.
Mais des espaces vides sur certaines étagères montrent bien que la banque de linge a ses limites. "Il nous manque des pyjamas, des tee-shirts, des bermudas, des pantalons, des sous-vêtements pour hommes", détaille Suzanne, l'une des bénévoles. Tout un chacun peut venir déposer vêtements et chaussures tous les mercredis entre 9h et 12h au centre Emma Ventura. L'association reçoit également des dons d'entreprise pour des produits d'hygiène. Pour le reste, elle comble avec les évènements qu'elle organise durant l'année...et le bouche-à-oreille.
"Donner du temps aux autres"
Tout est parti du constat de l'une des résidentes. "Les gens ne viennent pas nous visiter à l'hospice Ventura, ils nous considèrent comme des pestiférés", avait-elle lancé en 1991. L'idée fait son chemin, et après une formation, une équipe de bénévoles-visiteurs de malades est mise en place. Elle deviendra plus tard l'association "Les Amis du Centre Emma Ventura".
Et parmi les actions de l'association, la banque de linge s'est imposée d'elle-même. Un résident qui comme la plupart d'entre eux à l'époque, étaient vêtus d'une casaque d'hôpital a fait remarquer aux bénévoles qu'il appréciait leurs visites, mais qu'une tenue plus couvrante aurait été plus appropriée pour recevoir "des dames".C'est en venant sur place, en discutant avec les résidents sur leurs besoins qu'on a mis en place tout ce qu'il y a maintenant.
Avec leur devise, "donner du temps aux autres", presque 30 ans plus tard, les bénévoles assurent toujours leurs visites deux jours par semaine. Un rendez-vous pour les résidents durant lequel de grands jeux, des ateliers de mémoire, de lecture, ou encore des activités physiques sont organisés.
L'association ponctue également l'année avec des évènements comme la grande kermesse, le vide grenier, les rencontres intergénérationnelles ou encore les temps forts de la semaine sainte.
Ils ne sont pas morts, ce sont des vivants. Ils ont besoin de relations, d'exister, de vivre. On ne peut pas les enterrer ici.
Donc c'est à nous, personnes de l'extérieur, de venir les faire vivre, leur apporter la vie.
On est un lien, on les relie à la vie de l'extérieur.
"On donne un peu et on reçoit beaucoup"
L'association les "Amis d'Emma Ventura" compte aujourd'hui une trentaine de bénévoles âgés de 27 ans à 83 ans. Des personnes passionnées qui donnent de leur temps pour mettre du soleil dans la vie d'inconnus qui au fil du temps deviennent des membres de leur vie.
J'ai créé des liens, de la complicité. On apprend à connaître les gens, à être à l'écoute. Parce qu'il y en a qui sont très fermés et on ne sait pas comment les aborder.
Et puis au fur et à mesure quand on reste à l'écoute, on se rend compte qu'ils ont besoin d'attention et ont créé une forme de complicité, on apprend à les connaître.
Et visite après visite, ils sont contents, ils vous reconnaissent.
Ils sont devenus membres à part entière de ma famille.
La crise sanitaire a limité les contacts cette année et les bénévoles ont dû arrêter leurs visites. Seul homme, Thomas est bénévole de l'association depuis près de 14 ans. Cette séparation a été une véritable révélation pour lui.
Avec le covid, je me rends compte à quel point ça me donne beaucoup. Le fait de venir, voir les résidents, discuter avec eux, on voit que ça sert à quelque chose.
Tu donnes à ton prochain et en retour tu reçois. Je reçois le partage, un sourire.
C'est bien pour la personne et pour soi. Ça apporte un équilibre et permet de relativiser. On devient plus tolérant, plus compréhensif. Donc c'est des deux côtés.
Amis jusqu'au bout. L'accompagnement des bénévoles de l'association ne s'arrête pas au décès du résident. Quand ces derniers n'ont pas de famille, ils participent à leurs funérailles afin d'offrir la dignité à ces personnes qui ont partagé leur vie.