Marche annuelle en hommage à Lumina Sophie, un exemple de Martiniquaise résistante

Chaque année, l’association Culture Egalité organise une marche pour commémorer la grande Insurrection du Sud de 1870. Cette histoire de résistance et de la force féminine des personnes comme Lumina Sophie ne figure pas dans les programmes scolaires de Martinique.

On ne connaît pas le visage de Lumina Sophie. Le monument érigé en son honneur sur le rond-point de la Pointe des Nègres à Schoelcher est une forme abstraite.

Sur la façade du lycée de la Batelière qui porte son nom, il n’y a pas de portrait de Lumina Sophie.

L’historien Gilbert Pago a rédigé un récit précis sur les actions de cette femme qui possédait « une forte résistance physique, une forte personnalité, une puissante énergie et une grande liberté d’allure" et qui était parmi les leaders de l’Insurrection du Sud de 1870.

Les combats pour la liberté et la dignité ont été aussi menés par des femmes. C’est leur participation active qui donne une chance de succès à toutes les luttes.

Gilbert Pago, historien

Lumina Sophie est née Marie Philomène Sophie, le 5 novembre 1848, seulement 5 mois après l’Abolition de l'esclavage en Martinique.

Elle suit l’exemple de sa mère, Marie Sophie dite Zulma, et devient cultivatrice, ouvrière agricole, marchande et couturière.

L’Insurrection du Sud éclate en septembre 1870 quand un jeune artisan noir nommé Léopold Lubin est maltraité par un "fonctionnaire métropolitain" qui estime que l’homme de couleur ne lui a pas cédé le passage assez rapidement.

La plainte de Lubin est rejetée. Il se fait sa propre justice.

Il est condamné à une amende de 1500 francs (soit plus de 1500 jours de paye d’un coupeur de cannes) et à 7 ans de bagne en Guyane.

Cette affaire vient s’ajouter à celle de Louis Codé, propriétaire de l’habitation La Mauny et membre du jury des Blancs, qui se vantait publiquement de ses actions qui ont fait condamner Léopold Lubin.

Insurrection du Sud en septembre 1870

Le 22 septembre à Rivière-Pilote, les femmes réclament la libération de Lubin et crient leur haine de Louis Codé et les autres jurés et juges blancs. Les habitants de la campagne rejoignent la manifestation.​ Près de 700 personnes prennent la direction de l’habitation La Mauny, sur un trajet de 5 kilomètres.

Les femmes portent des torches enflammées et des bâtons. Lumina avait une grosse pierre à la main. Les révoltés mettent le feu à la case à bagasses et aux champs de canne.

La garnison de gendarmes du Marin est mobilisée pour stopper les émeutes qui ont laissé 2 morts et 2 blessés. La situation se transforme en insurrection.

Les femmes comme Lumina Sophie, Madeleine Clem et Rosanie Soleil ont participé aux groupes de combat.

Sculpture de Lumina Sophie à la Pointe des Nègres à Fort-de-France.

Ces femmes étaient placées en première ligne afin de jeter aux yeux des soldats des bouteilles d'eau pimentée et de les assaillir de pierres.

En plus, "elles se sont occupées de faire" la cuisine pour plus de 600 personnes.

Pendant les 4 jours de l’insurrection, Lumina Sophie a parcouru environ 100 kilomètres à pied en étant enceinte. On l’accuse d’avoir mis le feu à 3 habitations, sans compter les cases à bagasse.

Le lundi 26 septembre, les troupes gouvernementales arrivent sur place.

​Entre 300 et 500 personnes interpellées

​Lumina Sophie est arrêtée à Régale et incarcérée au Fort Desaix à Fort-de-France.

Le gouverneur de l’époque la présente comme "la flamme de la révolte". Elle est accusée de pillage, d’incendie et de blasphèmes.

Le conseil de guerre blâme la jeune femme d’avoir pris une part active à l’insurrection alors qu’elle était enceinte de 2 mois.

Elle est un mauvais exemple pour les femmes, une menace contre la famille, la religion, l’ordre social et les rapports établis entre les sexes.

Le 28 avril, à la prison de Fort-de-France, elle accouche d’un garçon. L’administration pénitentiaire lui donne le nom de Théodore Lumina.

Sa mère est déportée vers le bagne de Saint-Laurent du Maroni. Le petit Théodore meurt en prison 14 mois après.

Au Guyane, on la marie avec un paysan breton, un ancien bagnard, dans l’espoir qu’elle participe "au peuplement de la Guyane."

Elle décède le 15 décembre 1879 à l'âge de 31 ans.

Les hommes sont toujours des fils de héros. La femme n’a pas encore appris à être la fille de Lumina Sophie. Pour créer une société apaisée, il faut l’égalité des 2 genres sinon on ne va pas avancer.

Huguette Bellemare, Association Culture Egalité

Selon les membres de l’Association Culture Egalité, se souvenir de la résistance de Lumina Sophie est très important dans une société où la contribution des femmes est marginalisée.

Source : extraits des ouvrages de Gilbert Pago : Lumina Sophie dite Surprise et L'Insurrection de Martinique 1870-1871.