La grande grève de février 1900 marque le début de la lutte syndicale en Martinique. Au moins dix ouvriers des plantations sucrières seront tuées dans ce mouvement provoqué notamment par la baisse de leur salaire.
Cyriaque Sommier•
Dès 1884, en pleine crise mondiale du sucre, des planteurs martiniquais décident de baisser les salaires des ouvriers, tout en augmentant leur charge de travail
La généralisation de ces mesures entraîne des grèves. Celle de 1900 -la plus importante- fera au moins dix morts, tous ouvriers agricoles. Elle marque les débuts de la lutte ouvrière en Martinique.
(Re)voir ce reportage avec les images d'Eddy Bellerose.
On y pratique notamment "Le Piquant" : le géreur peut, s’il estime qu’il y a une malfaçon dans le travail d’un employé, enfoncer une barre métallique dans le paquet de canne livré, interdisant ainsi le paiement de l’ouvrier.
Par ailleurs, des bons "Caïdon", sorte de monnaie unique à chaque habitation, obligent les travailleurs à consommer uniquement sur la boutique de l’exploitation sur laquelle ils travaillent.
A la fin de la semaine, ils ne touchent donc que la différence entre leurs dettes et leur salaire, à condition que le solde soit positif.
Une grève "marchante"
C’est dans ce contexte que débute la Grande Grève de 1900, autour d’une revendication principale : la mise en place d’un salaire minimum de 2 francs par jour (soit le salaire d’avant 1884).
Le mouvement prend naissance sur les habitations de Sainte-Marie et du Marigot, avant de s’étendre plus au nord de l'île, au Lorrain et à Basse Pointe, et vers Trinité et le Robert, plus au sud, ainsi que dans la plaine du Lamentin, Ducos, Rivière Salée et les Trois-Ilets.
Face à face tendu entre les ouvriers et les soldats
C’est ainsi que, dès le 7 février 1900, l’usine du Robert est envahie pendant quelques heures avant d’être évacuée sans heurts particuliers.
Le lendemain, environ 400 ouvriers agricoles partent de plusieurs habitations du Robert en direction du François.
Ils empruntent la voie du chemin de fer qui achemine habituellement la canne à sucre jusqu’à l’entrée nord de l’usine.
Ils se retrouvent alors face à 25 soldats dépêchés sur place par le gouverneur Marie Louis Gustave Gabrié, alerté d’une arrivée imminente de manifestants par le directeur de l’usine.
La troupe aurait donc ouvert le feu sans sommation, alors que des pourparlers étaient en cours.
Une version que semble confirmer les éléments matériels retrouvés sur les lieux du drame, comme les premières taches de sang, montrant qu’on a tiré "à distance" des grévistes.
À ses proches, Homère Clément parlera de "l’exécution" du 8 février 1900.
Le François assiégé
Officiellement, la fusillade a fait 10 morts et 18 blessés dont 12 grièvement atteints. Mais plusieurs ouvriers touchés avaient regagnés leurs cases et auraient également succombés à leurs blessures.
C’est la stupeur dans la commune. Les grévistes se dispersent immédiatement et regagnent les habitations du Robert tandis que les franciscains se cloîtrent chez eux.
Des dizaines d’autres hommes en arme arrivent afin de maintenir l’ordre. Une présence militaire qui crée une véritable psychose dans la population.
Première victoire ouvrière
La nouvelle se répand et provoque l’émoi dans la population. Le mouvement de grève repart de plus belle et bénéficie désormais du soutien des employés d’usines.
C’est dans ce contexte que s’ouvrent les négociations de Rivière Salée, sur l’habitation La Guillaud, en présence du grand propriétaire Jean Hayot, du sénateur Amédée Knight et d’environ 2000 grévistes.
L’accord signé le 15 février 1900 prévoit des augmentations de salaires pouvant atteindre 50% ainsi que l’assouplissement du Caïdon et du Piquant.