En quoi Fanon est-il encore actuel ? Parce que c'est un paraclet, comme l’a écrit Aimé Césaire. Traduire : un avocat, un défenseur, un intercesseur. Il a été l’avocat d’une grande cause, celle de l’émancipation de l’homme. Et aussi le défenseur des opprimés de toute la planète, les damnés de la Terre, pour reprendre le titre de son livre posthume. Et puis l’intercesseur entre l’Occident dévalorisé et le Tiers-Monde, avenir de l’humanité.
En quoi Fanon est-il encore inspirant ? Dans son livre magistral sur la vie et l’oeuvre de l’un des penseurs majeurs du siècle dernier, L’insurrection de l’âme. Frantz Fanon, vie et mot du guerrier-silex, publié par Caraïbéditions en 2017, Raphaël Confiant propose au moins trois raisons. D’abord parce qu’une bonne partie de sa courte vie, interrompue par la leucémie à 36 ans, reste largement inconnue de ses compatriotes.
Ensuite, parce qu’il a été un psychiatre novateur. Il a mis au point une thérapie originale pour soigner ses patients musulmans à Lyon, où il a été formé, puis en Algérie où il arrive en 1953. Fanon est inspirant aussi parce que, contrairement à une légende, il n’était absolument pas partisan de la violence, en tant qu’humaniste.
La violence du colonisé est légitime
Ce qui ne l’a pas empêché de légitimer la violence du colonisé en réponse à la violence, illégitime, du colonisateur. Et puis, sa pensée est universelle. Ainsi, il a longtemps été l’auteur le plus traduit en langue arabe et lu par les révolutionnaires palestiniens, après Karl Marx. Nul n’est tenu de partager sa vision révolutionnaire.
Mais qui peut le condamner ? Dissident, il rejoint les Forces françaises libres, à 18 ans. Elevé au sein d’une famille de la petite bourgeoisie de Fort-de-France, il part sauver la mère-patrie de la barbarie nazie, au péril de sa vie. Une expérience lui permettant de forger sa critique du racisme, ce système de pensée infériorisant l’homme noir. Il devient un intellectuel engagé.
Un engagement révolutionnaire
Dans les années 1950, l’époque de la décolonisation, il faut choisir son camp. Celui de l’émancipation, ou celui de l’aliénation. Il écrit que chaque génération doit, dans une relative opacité, choisir de trahir ou de remplir sa mission. Fanon choisit le camp des dominés. Il passe à l’ennemi, les indépendantistes du Front de libération nationale. Pourchassé par les services secrets français, il échappe à plusieurs attentats.
Sa présence aurait pu être utile dans sa Martinique natale, mais les circonstances le contraignent à livrer bataille sur le terrain où il se trouve. Son principe : " le devoir de tout révolutionnaire est de faire la révolution ".
L’aliénation coloniale persiste
En référence à notre actualité, Raphaël Confiant a récemment souligné sur son site internet Fondas kreyòl que Fanon a certainement trouvé l’une des clés de notre refus du vaccin et de notre appel à la pharmacopée créole. Le psychiatre montre, dans son livre L'An V de la révolution algérienne. Sociologie d'une révolution, que les peuples opprimés refusent inconsciemment tout ce qui peut s’apparenter pour eux à la domination coloniale, y compris les progrès et les bénéfices prodigués par la science.
Notre refus du vaccin viendrait notamment de cette méfiance foncière envers ceux que nous considérons, à tort ou à raison, comme nos oppresseurs. Il est vrai que nous sommes parmi les peuples parmi les plus dépendants sur la planète, sur tous les plans - économique, politique, culturel et mental.
Si nous ne savons même pas ce qu’est un vaccin, comment pourrons-nous comprendre la pensée complexe de Fanon ? Si nul n’est prophète en son pays, vu le silence qui a frappé, ici, sa vie et son engagement, Frantz Fanon demeure néanmoins une source d’inspiration vivace.
Pour comprendre Fanon
Tous les livres de Frantz Fanon ont été réédités à de multiples reprises, dans de nombreuses langues de par le monde :
Peau noire, masques blancs, Le Seuil, 1952
L'An V de la révolution algérienne. Sociologie d'une révolution, Maspéro, 1959
Les Damnés de la Terre, Maspéro 1961
Pour la révolution africaine. Écrits politiques, Maspéro, 1964
Parmi les nombreux ouvrages consacrés à Frantz Fanon, mentionnons :
Raphaël Confiant, L’insurrection de l’âme. Frantz Fanon, vie et mot du guerrier-silex, Caraïbéditions, 2017
Daniel Boukman, Frantz Fanon. Traces d'une vie exemplaire, L'Harmattan, 2016
Frantz Fanon. Recueil de textes introduit par Mireille Fanon-Mendès-France, éditions du CETIM (Centre Europe-Tiers Monde, Genève), 2013
André Lucrèce, Frantz Fanon et les Antilles. L’empreinte d'une pensée, Le Teneur, 2011
David Macey, Frantz Fanon, une vie, La Découverte, 2011
Pierre Bouvier, Aimé Césaire et Frantz Fanon. Portraits de (dé)colonisés, Les Belles Lettres, 2010
Christiane Chaulet-Achour, Frantz Fanon, l'importun, Editions du Chèvrefeuille étoilée, 2004
Joby Fanon, De la Martinique à l'Algérie et à l'Afrique, L'Harmattan, 2004
Alice Cherki, Frantz Fanon. Portrait, Le Seuil, 2000