Quelle stratégie unitaire adopter pour obtenir le respect dû aux victimes du Chlordécone ?

Manifestation du 27 février 2021 dans les rues de Fort-de-France contre la prescription dans la procédure judiciaire de l'affaire chlordécone.
La décision du maire de Fort-de-France, Didier Laguerre de fermer le campement installé dans l’Espace Camille Darsières, pose la question de l’unité des modaités de contestation du non-lieu dans l’enquête sur le scandale du chlordécone. Une décision des magistrats parisiens mal perçue par de larges fractions de la population.

Est-il possible d’unir les forces de tous ceux qui dénoncent, à juste titre, la décision inique du non-lieu à propos du scandale du chlordécone ? Est-il envisageable de construire un front commun pour sortir de ce piège dans lequel nous ont enfermé certains acteurs économiques, puissamment aidés par des responsables politiques parisiens et par des élus locaux ? Est-il possible d’unir le peuple pour sortir par le haut de cette séquence mortifère de notre histoire récente ?

Ces questions sont certainement naïves. Pour autant, nous n’avons pas d’autre choix que de recenser nos différences pour mieux les surmonter afin d’obtenir un résultat que nous attendons tous. À savoir, la désignation des coupables des préjudices subis par l’utilisation, en toute connaissance de cause, de ce pesticide hautement toxique. Puis leur traduction en justice pour les amener à réparation.

La dimension judiciaire n’exclut pas, bien au contraire, la nécessité de relancer l’agriculture et la pêche. Ces secteurs dont les professionnels ont été lourdement impactés par l’épandage massif du Kepone ou du Curlone  (noms commerciaux du pesticide), doivent être soutenus par les pouvoirs publics et par les consommateurs pour qu’ils reprennent une activité normale.

Rassemblement populaire du 27 février 2021 à Fort-de-France d'organisations citoyennes, sociales, syndicales et politiques pour réclamer "justice et réparation" dans le dossier des pesticides. • ©Capture Facebook "Lyannaj Pou Dépolyé Matinik" / DR

Un combat à dimensions multiples

La dimension judiciaire n’exclut pas non plus la dimension politique de la lutte pour la reconnaissance de la dignité et de la souffrance des peuples de Guadeloupe et de Martinique. Or, nous n’en prenons pas le chemin. Nos divisions s’étalent au grand jour, comme le montre la fermeture du "Lakou kont nonlieu". L’Espace Camille Darsières, de son nom officiel, situé dans la cour de l’ancien palais de la justice, face à la cour d’appel, a été fermé par décision du maire de Fort-de-France.

Les réactions contrastées après l’évacuation du lieu, dans le calme et avec le concours dissuasif des forces de l’ordre, montrent que l’unité n’est pas acquise. Pour les uns, les arguments avancés par le maire sont parfaitement valables. Il évoque à l’appui de sa décision, des nuisances sonores le soir qui gênent les voisins. Des concerts et des rassemblements bruyants auraient lieu, à ses dires, à des heures indues.

Il parle aussi des nuisances diverses durant la journée, qui pertubent l’activité commerciale aux alentours. Le maire de Fort-de-France, garant de la sécurité et de la salubrité publique, met en avant aussi des conditions de vie dans le campement qui ne sont pas propices à une installation permanente.

Le campement des activistes contre le non-lieu judiciaire dans le dossier de la chlordécone, est resté en place sur le site de l'ancien palais de justice de Fort-de-France, lundi 27 mars 2023, avant le démantèlement décidé par arrêté préfectoral.

Un litige judiciaire sur un fond de litige politique

Pour les autres, les avocats des militants ont raison de parler d’une décision non fondée en droit. Ils estiment que le maire n’a présenté aucune preuve matérielle justifiant ses allégations. Ils demandent des témoignages, des photos, des vidéos ou des procès-verbaux d’infractions. Ce que l’autorité n’aurait pas fourni, à les entendre.

Le tribunal administratif, saisi par les avocats des occupants délogés, devra dire si le droit a été respecté, ou pas. En filigrane de cette opération de police, il reste le fond du contentieux. À savoir les formes que doivent prendre les protestations contre le non-lieu décidé par les deux juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris, en janvier 2023.

Le maire de Fort-de-France, dirigeant du Parti progressiste, a déclaré qu’il prend sa part du combat pour infirmer la décision des magistrats. Il a rappelé qu’il a fait voter par son conseil municipal, en décembre 2022, une motion en ce sens. Sur le fond, sur le principe, il rejoint la position des militants qu’il a fait déloger. Lesquels persistent dans leur refus de la décision de l’autorité municipale.

Les deux camps veulent la même chose, mais n’utilisent pas les mêmes éléments. Nous en sommes là. Pour combien de temps encore ? Quelle autorité pourrait prendre une initiative pour concilier non pas des adversaires, mais des points de vue différents sur la meilleure stratégie à adopter ?

Au fait, qu’aurait-il dit ou décidé Camille Darsières s’il avait été encore là ? Dirigeant politique de premier plan, avocat respecté, il aurait sûrement exhorté les uns et les autres à se hisser à la hauteur des enjeux en renonçant à des divergences secondaires pour se concentrer sur l’essentiel.