Qui a "tué" la droite en Martinique ?

De gauche à droite : Des hommes de droite : Anicet Turinay, ancien député et maire du Gros-Morne, Pierre Petit, ancien député et maire du Morne-Rouge, André Lesueur, ancien député, président de l'Espace sud, maire de Rivière-Salée, Sainte Cakin, maire du Macouba, ensemble en 2017 à la préfecture.
La nouvelle Assemblée de la Collectivité Territoriale de Martinique est installée. Parmi les élus de cette seconde mandature, très peu de représentants de la droite siègent dans l’hémicycle, un courant qui a quasiment disparu de l’échiquier politique local. La faute à qui ?

En décembre 2015, dans l’entre-deux tours de la première élection de la CTM, plusieurs figures de la droite martiniquaise avaient rejoint la mouvance indépendantiste et son leader, Alfred Marie-Jeanne. Ce dernier a pu ainsi virer en tête au soir du second tour, grâce à cette alliance qualifiée de "contre nature" par les opposants.

Pour le meilleur… et pour le pire  

 

Ce "contrat de gestion" a très tôt été lézardé par des dissensions au sein de la majorité entre 2015 et 2021, pour finalement imploser en particulier durant les 12 derniers mois de la mandature.

Et dans ce jeu de massacre, c’est finalement le groupe de la droite qui s’est retrouvé le bec dans l’eau. En effet, son chef de file Yann Monplaisir n’est pas parvenu à se maintenir au second tour du dernier scrutin des 20 et 27 juin 2021, tandis que son allié d’hier, Miguel Laventure, est resté fidèle jusqu’au bout au président sortant de l’exécutif.

Les électeurs ont de la mémoire

 

Avant 2015, Yann Monplaisir et Miguel Laventure ont souvent pourfendu l’idéologie des "patriotes" (et inversement), aux côtés d’autres hommes de cette tendance. Cette droite républicaine a prospéré en Martinique depuis l’époque du Général De-Gaulle, jusqu’à l'issue du septennat du Président Valéry Giscard D’Estaing (élu à la fonction suprême le 19 mai 1974). 

Puis en 1981, c’est le socialiste François Mitterrand qui arrive au pouvoir, une gauche qui restera 14 ans à la tête de la France. Pour Philippe Petit du centre droit, c’est durant cette période que la droite martiniquaise a commencé à perdre du terrain, au profit de la gauche et des indépendantistes.

Depuis l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981, la Martinique a basculé à gauche, par rapport aux "libertés" qu’il a données aux citoyens (les radios privées, la première décentralisation territoriale, et il n’était pas question d’indépendance, contrairement à une rumeur qui avait circulée.

 

Donc dans la prise de conscience de l’électorat de droite, la gauche Mitterrandienne ne représentait pas un danger.

 

Une radio (RLDM) au service du MIM

C’est grâce à la libération des ondes que le Mouvement Indépendantiste Martiniquais a pu s’épanouir sur l’ensemble du territoire à travers sa radio (RLDM), avec une forte dominante politique  jusqu’à aujourd’hui (…).

 

C’est ainsi qu’Alfred Marie-Jeanne a pu étendre sa toile, en défilant souvent avec les syndicats de gauche (en particulier la CSTM), et c'est comme cela que le leader du MIM a siphonné en 3 ou 4 décennies, 30% des électeurs de la droite de l'époque.

 

"Le pompon" en 2010  

Après la génération des barons tels que Michel Renard, Jean Maran, Roger Lise, Émile Maurice… sont arrivés d’autres hommes comme mon père, Pierre Petit, puis Miguel Laventure, mais sans un véritable corpus doctrinal.

 

Et en 2010, c’est le pompon, puisque l’ex-député-maire du Morne-Rouge et ma belle-mère Jenny Dulys se sont rangés derrière Serge Letchimy à gauche, lors des régionales (où mon père m’a gentiment coulé d'ailleurs sur la liste d’André Lesueur, l’actuel maire de Rivière-Salée).

 

(Philippe Petit de l’UDEM – Union des Démocrates et Écologistes de Martinique).

 

Le coup de grâce en 2015

 

Dans son analyse sans concessions, l’ancien dirigeant du MLP (Mouvement Libéral Populaire), pointe du doigt également Yann Monplaisir "qui attendait son heure" en 2015 dit-il. Ce dernier a engrangé 14,32% des suffrages au 1er tour des élections à la CTM, avant "la fameuse alliance" avec les patriotes. On connaît la suite.

Philippe Petit, candidat malheureux lui aussi en juin 2021, fait allusion cette fois à Fred-Michel Tirault, autre élu de droite, qui a lui également cédé à la tentation d’une liste composite (La Martinique Ensemble). Conduite par une femme de gauche, Catherine Conconne, cette liste a franchi la barre des 10% pour le second tour. Le maire du Saint-Esprit siègera donc durant 7 ans, au sein de ce groupe minoritaire.

Fred-Michel Tirault représente-t-il encore LR ?

 

Du coup, une question se pose : le 1er magistrat spiritain, est-il toujours le numéro 1 du parti LR (Les Républicains) en Martinique ?

Sur la page Facebook d'un autre homme de droite, Nausica Niasme âgé de 50 ans, ce dernier s'affichait fièrement en fin de semaine dernière aux côtés du député Christian Jacob, le président du parti.

J'ai le plaisir et la lourde tâche d'être le premier animateur au sein de la Fédération Les Républicains de Martinique.

(Nausica Niasme) 

Nausica Niasme (à gauche), premier animateur au sein de la Fédération Les Républicains de Martinique, en compagnie du député Christian Jacob, président du parti Les Républicains.

Alors qui a "tué" la droite martiniquaise ? 

 

"Ce sont les hommes de droite eux-mêmes" qui ont sacrifié leur idéologie à en croire observateurs et proches de cette mouvance, vu les ballottements de ses représentants au fil des décennies depuis 1981. Conséquence : "l’électorat est déboussolé" se désole un militant de très longue date.    

L’ancien conseiller régional de droite (1992 - 2004), Jean-Marcel Maran, a pris ses distances depuis avec la politique. Mais il garde tout de même un œil sur l’actualité de sa formation dans la cité, comme le faisait son père, Jean Maran, récemment décédé. Selon lui, cette droite locale est sur le point de mourir.

La disparition d’un des derniers ténors de droite en mai 2021 (feu mon père Jean Maran), après celle plus lointaines des Élysée, Renard, Maurice, Bally… a mis un terme quasi définitif à l'existence d'un courant de pensée lequel s'est confronté de manière rude aux partis de gauche (PPM, PCM, PS ou autre MIM ).

 

Mais il faut aussi reconnaître qu'au fil des années 80, 90, et 2000, les discours sur le statut ou le développement économique se sont interpénétrés, au point de ne plus voire trop de différences entre la "droite" et les "gauches" modérées. 

 

2015 : "l’alliance du lapia et du manicou"

La lente descente s'est accentuée, selon moi, à partir de 2010, quand le mouvement "Osons Oser" s'est allié à EPMN durant la mandature de Serge Letchimy et après...

 

L'alliance de décembre 2015, que j’avais qualifiée lors d'une interview d'alliance du "Lapia et du manicou", a ajouté plusieurs clous au cercueil de cette droite.

 

Je rappelle qu'en 1998, Pierre Petit avait accepté un pacte de gestion avec Alfred Marie-Jeanne, mais après les élections… ce qui était totalement différent.

 

"La lente agonie a commencé"

Yann Monplaisir a cru, qu'en se servant de cette alliance, il allait bousculer la hiérarchie politique en place.

 

Miguel Laventure quant à lui, a imaginé qu'en acceptant d'être sur la liste du GSPM (Gran Sanblé Pou Matinik), il allait sauver son mandat, en retrouvant son poste de conseiller exécutif.

 

Tout a été décidé par des hommes qui ne pensaient qu'à leur personne et à leurs intérêts, mais pas à la Martinique et aux militants.

 

En résumé, la lente agonie a commencé, non pas en 2015 mais en 2010.

(Jean-Marcel Maran)

 

Analyse plus contenue de Jenny Dulys. Pour la seconde mandature qui débute à la collectivité majeure, la maire de droite de la ville du Morne-Rouge est restée aux côtés du nouveau président du Conseil Exécutif, Serge Letchimy, toujours classé à gauche, sur la liste majoritaire "Alians Matinik".

Je ne me permets pas "d'accuser" Miguel Laventure et Yann Monplaisir, mais il fallait s'y attendre… et ils y sont peut-être pour quelque chose.

 

Mais je pense que ce changement était inévitable, depuis l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981.

 

Cela dit, aujourd'hui, tout le monde est pour le maintien dans la France et dans l'Europe, et donc j'estime qu'il n'y a plus besoin de courant politique pour défendre cette cause.

(Jenny Dulys - maire et conseillère territoriale)

 

"Jouer la cohésion"

 

L’ex homologue de Jenny Dulys à la mairie de Schoelcher (de 1995 à 2008), Alfred Almont, sans citer personne, semble à peine surpris de la déconfiture de sa famille politique, celle dont il a porté les valeurs à l’Assemblée nationale, de 2002 à 2012.

La droite que j’ai incarnée, n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui.

 

En 2015, j’ai été très interrogatif sur ce qui s’était passé cette nuit-là (…). Une telle décision, on la prend après avoir consulté pas seulement un bureau politique, mais une base, donc la population (…).

Et puis on savait à qui on avait affaire.

 

Bref, ils se sont engagés et nous connaissons les résultats. Certains sont allés à mon avis pour s’occuper de leurs propres intérêts (…).

 

Ce comportement est insupportable, ce qui me conforte dans la démarche que j’ai eu très tôt d’ailleurs, c’est-à-dire jouer la cohésion face aux enjeux.

(Alfred Almont)

 

"Avoir la force de regarder le passé avec lucidité, pour mieux construire l’avenir ensemble, c’est ma manière de voir aujourd’hui", conclut l’ancien parlementaire.

En attendant, à charge pour les militants et sympathisants déroutés, de donner un nouveau souffle à leur droite locale, afin que celle-ci retrouve sa place sur l’échiquier politique, pour un meilleur équilibre du débat démocratique.