Serge Bilé découvre l'histoire d'un esclave martiniquais devenu bourreau

Ce livre inédit retrace le parcours étrange et chaotique du martiniquais Mathieu Léveillé qui, après avoir été esclave devient lui même bourreau...
L’histoire étonnante de Mathieu Léveillé, est celle d'un esclave martiniquais du XVIIIe siècle condamné à mort, à qui on propose, s’il veut échapper à une exécution imminente, de devenir bourreau au Québec. Entretien avec le journaliste Serge Bilé, l'auteur de cet essai.
C’est l’histoire étonnante d’un esclave martiniquais du XVIIIe siècle condamné à mort à qui on propose, s’il veut échapper à une exécution imminente, de devenir bourreau au Québec. Ce livre inédit retrace le parcours étrange et chaotique de Mathieu Léveillé qui, après avoir été esclave à la merci de bourreaux, devient malgré lui "exécuteur des hautes œuvres", comme on le disait à l’époque. Entretien avec l’auteur, le journaliste Serge Bilé.

Qui est Mathieu Léveillé ?
 
La première fois qu’on entend parler de Mathieu Léveillé, c’est en janvier 1733 lorsqu’il est condamné à mort pour s’être évadé de l’habitation où il était esclave. Le tribunal lui promet alors la vie sauve, s’il consent à devenir bourreau. Mathieu Léveillé accepte et est envoyé par bateau en Nouvelle France, l’actuelle Québec. La proposition faite à cet esclave était courante à l’époque.

Les nègres marrons qui étaient capturés pouvaient avoir le choix entre la potence et le poste d’exécuteur "des hautes œuvres". Certains ont accepté. D’autres ont décliné. En Martinique, il y a même un esclave qui a d’abord dit oui. Mais au moment de faire le travail, il a eu des remords et il a refusé de pendre l’esclave qui avait été condamné à mort. Du coup, c’est lui qui a été pendu, parce que quand on devient bourreau, la peine est seulement suspendue.
 
Comment passe-t-on du statut d’esclave à celui de bourreau ?
 
Comme tous les exécuteurs "des hautes oeuvres", Mathieu Léveillé a reçu une formation qui lui a été dispensée par le bourreau en poste à l’époque en Martinique. Ça s’est passé à la prison de Fort-Royal. On lui a enseigné tous les gestes utiles dans l’exercice de son nouveau métier : comment il faut pendre, comment il faut fouetter, comment il faut torturer. Le plus délicat, ce sont les cordes. Il faut apprendre à les nouer et à les manœuvrer, comme il se doit, pour prolonger la souffrance du condamné avant la mise à mort. Bref, c’est du spectacle et il faut en donner aux colons pour leur curiosité morbide...
 
Comment Mathieu Léveillé est-il accepté par la population au Québec ?
 
Il y a un paradoxe. Bien que la population soit friande d’exécutions capitales, le statut du bourreau est généralement considéré comme une infamie et lui vaut l'hostilité de tous. À cela s'ajoute une circonstance aggravante chez Mathieu Léveillé: il est esclave et noir. Du coup, pendant les dix années qu'il va passer au Québec, il vivra totalement isolé. Quand il ne travaille pas, il passe son temps entre sa maison et l'Hôtel-Dieu où il est fréquemment admis. Très vite, on diagnostique chez lui une forme de dépression. 
 
En devenant bourreau Mathieu Léveillé entrait-il ainsi dans le système ?
 
Le métier de bourreau sous l’Ancien Régime est peu évoqué dans les livres. Pourtant, il avait une importance fondamentale dans l’organisation sociale. Les exécutions capitales publiques avaient, croyait-on, un rôle dissuasif. Elles attiraient une foule nombreuse qui, tout en étant effrayée, se délectait du supplice. En acceptant ce poste, Mathieu Léveillé entrait effectivement dans un système. Pour autant, il ne m’appartient pas de le juger...
 
 
 
"Esclave et bourreau" (Serge Bilé)– Edition du Serpent à plume