Soixante après, le procès de l’OJAM reste un événement essentiel pour comprendre la Martinique d’aujourd’hui

Voici 60 ans que se tenait le procès des militants de l’Organisation de la jeunesse Anticolonialiste de la Martinique devant le tribunal correctionnel de Paris. Ils risquaient jusqu’à trente ans de prison pour avoir réclamé l’émancipation. Une séquence à haute valeur ajoutée historique.

OJAM. Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique. Création : entre juillet et septembre 1962. Objectif : la Martinique aux Martiniquais. Moyens d’action : réunions publiques et actions discrètes pour éveiller les consciences. Coup d’éclat : le placardage du "Manifeste de l’OJAM" sous la forme d’affiches dans toutes les communes durant la nuit du 23 au 24 décembre 1962.

Motivation : soutenir l’aspiration à une vie meilleure de la jeunesse désœuvrée, sur fond de faillite de l’industrie sucrière. Conséquence : un procès inhabituel de treize de ses militants devant le tribunal correctionnel de Paris, du 25 novembre au 10 décembre 1963, Lequel se conclue par cinq condamnations allant jusqu’à trois ans de prison, et huit relaxes. Au fil de l’enquête, cinq militants avaient été remis en liberté.

Héros malgré eux, certains militants poursuivront leur engagement au Parti communiste, au Parti progressiste ou dans le camp indépendantiste. La fulgurance de l’OJAM est un nouveau signe de l’émergence de la mouvance nationaliste née avec les émeutes urbaines de Fort-de-France en décembre 1959. L’agitation est permanente chez les jeunes. Le gouvernement est inquiet. Il réagit en deux temps.

Le gouverneur inquiet réagit en deux temps

Premier temps, la répression contre l’OJAM. La police arrête dix-huit de ses membres entre février et avril 1963. Incarcérés quelques semaines à Fort-de-France, treize d’entre eux sont expédiés de nuit par avion militaire à la prison de la Santé, à Paris, puis à celle de Fresnes. Ils risquent trente ans de prison devant la Cour de sûreté de l’État, un tribunal d’exception composé de magistrats.

Le juge d’instruction est dans l’incapacité de réunir les preuves d’un complot visant à séparer la Martinique de la France. Vu le risque de susciter des réactions internationales hostiles, les inculpés sont finalement renvoyés en correctionnelle. Ils ne risquent plus que dix ans de prison au plus.

Le second temps de la réaction du gouvernement consiste à appliquer les promesses non tenues de la départementalisation votée en 1946. Les engagements qu’elle contient restent lettre morte. Ce qui alimente les frustrations et la contestation de la politique gouvernementale.

Quasiment quelques mois après le procès, le budget du ministère des départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM) est doublé. Des investissements massifs sont consentis pour équiper les territoires en routes, aéroports, ports, écoles, hôpitaux, dispensaires, réseau téléphonique.

La décolonisation promise en 1946 peut commencer

Par ailleurs, le gouvernement du général de Gaulle ne peut pas se permettre d’abandonner ces possessions revêtant une importance géostratégique majeure. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, la France doit montrer sa puissance en s’appuyant sur sa périphérie.

Le centre d’essais nucléaires est transféré du Sahara algérien à Mururoa, près de Tahiti. Un centre spatial est construit en Guyane. Le contrôle du sud-ouest de l’océan Indien est opéré depuis la Réunion. Le positionnement de la Guadeloupe et de la Martinique permet de contrer l’expansionnisme américain connexe au recul de la présence britannique dans la Caraïbe.

Après le procès de ses militants, l’OJAM est démantelée. Toutefois, le mouvement anticolonialiste renforce sa contestation de l’État. Depuis, les gouvernements successifs engagent une politique de rattrapage des retards de développement de nos territoires. Chacun jugera ce qu’il en est, six décennies après l’apparition de l’OJAM qu’un haut dirigeant de l’organisation considère comme "l’événement le plus important depuis la départementalisation". 

Militants de l'OJAM et leur avocat dans les années 60.

Rappel   

Les dix-huit militants martiniquais arrêtés :

Lors du procès du 25 novembre au 10 décembre 1963, huit militants sont incarcérés :
Henri Armougon, contrôleur des douanes
Rodolphe Désiré, médecin
Guy Dufond, directeur d’école privée
Hervé Florent, avocat
Manfred Lamotte, étudiant
Victor Lessort, bijoutier
Henri Pied, médecin
Roger Riam, instituteur.

Un second groupe comprend treize prévenus libres :
Georges Aliker, étudiant
Guy Anglionin, apprenti dans le bâtiment
Charles Davidas, peintre en bâtiment
Renaud de Grandmaison, étudiant
Roland Lordinot, instituteur
Gesner Mencé, instituteur
Marc (Loulou) Pulvar, étudiant
Joseph (Khôkhô) René-Corail, artiste peintre
Josiane Saint-Louis-Augustin, étudiante
Léon Sainte-Rose-Franchine, instituteur