Cyrille Charles Auguste Bissette, né à Fort-Royal en 1785, a eu sa vie marquée par deux événements majeurs survenus durant le mois de janvier. En 1858, le 22 janvier, il décède à Paris. Il est âgé de 63 ans. Fatigué, il s’est retiré de la vie politique après le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, en décembre 1851.
Trente-quatre ans plus tôt, le 5 janvier 1824, Cyrille Auguste Charles Bissette est condamné par la Cour royale de Fort-de-France au bannissement et aux travaux forcés. Ses deux complices présumés, Jean-Baptiste Volny et Louis Fabien, sont condamnés avec lui.
Leur crime ? Avoir diffusé, en décembre 1823, une brochure au titre évocateur, « De la situation des gens de couleur libres aux Antilles françaises ». Ce document imprimé à Paris, introduit secrètement en Martinique, est un véritable réquisitoire contre le système en vigueur. Son auteur anonyme réclame l’égalité des droits entre les Blancs et les gens de couleur libres, ou mulâtres.
Bissette et ses deux amis contestent l’avoir écrit et diffusé. En vain. Le jugement de leur procès en appel, une semaine plus tard, n’est pas plus clément. Ils doivent subir la marque au fer rouge, à savoir l’apposition à même la peau d’un fer chauffé à blanc formé des trois lettres « GAL » pour galères. Ils sont donc assignés aux galères, à savoir matelot sur les navires à voile, à perpétuité.
Condamné sévèrement pour un complot imaginaire
En outre, ils sont déportés au fort de Brest. Les trois hommes, des mulâtres prospères honorablement connus, se pourvoient en cassation. Leur avocat, André Isambert, les défend devant la Cour royale de la Guadeloupe. Finalement, Bissette est banni pour dix ans des colonies françaises. Ses deux amis, Volny et Fabien, sont acquittés.
Ne pouvant revenir au pays natal, Bissette s’installe à Paris. Il y déploie dès sa libération en 1825 un activisme soutenu en faveur de l’abolition, notamment dans sa Revue des colonies. Epousant la même cause, Victor Schœlcher commence à être connu. Découvrant la réalité de l’esclavage lors de ses voyages au Guatemala et à Cuba en 1830, il dénonce cette barbarie dans la Revue de Paris.
Les deux hommes se fréquentent, s’apprécient, puis se brouillent. Au point que Schœlcher écartera Bissette de la commission qu’il préside pour préparer le décret d’abolition du 27 avril 1848.
Après l’abolition, des élections législatives se tiennent pour rédiger une constitution. Trois sièges sont dévolus à la Martinique. Le scrutin s’y tient en août. La liste des républicains est triomphalement élue. Bissette devance Pierre-Marie Pory-Papy, l’adjoint au maire de Saint-Pierre qui a décidé la libération de l’esclave Romain injustement emprisonné le 20 mai précédent, et Schoelcher.
Un militant déterminé pour abolir l’esclavage
L’élection de Bissette est annulée, en raison de sa condamnation pour faillite frauduleuse au cours du procès inique qu’il a subi en 1824. Finalement amnistié, il est réélu aux législatives de mai 1849, en s’alliant à un colon, le béké Auguste Pécoul. Il reste populaire chez les anciens esclaves, mais il est rejeté par les mulâtres, son groupe social.
Dans la première partie de sa vie, Bissette avait participé à la sévère répression des esclaves et marrons, lors de l’insurrection du Carbet d’octobre-novembre 1822. Une décennie plus tard, sévèrement condamné par la justice, il devient un combattant déterminé de l’interdiction du travail servile. Ses démêlés avec Schoelcher et son alliance avec Pécoul contribuent à le faire tomber dans l’oubli.
L’histoire retiendra néanmoins qu’il a été un précurseur ayant chèrement payé son engagement. La vie de Cyrille Bissette n’a pas été constituée que d’épisodes glorieux. Mais oser affronter les moments peu reluisants de notre passé, quitte à évoquer la face sombre des personnages qui l’ont peuplé, ne peut qu’enrichir notre avenir.