Jamais une exposition à la Fondation Clément n'avait suscité autant de remous. Des associations panafricaines martiniquaises avaient critiqué l'organisation de cette présentation de l'art béninois sur ce site.
Garcin Malsa, ancien maire de Sainte-Anne, parlait de "mépris et de démarche d'affaires" de la part de Bernard Hayot. Le président Letchimy lui faisait savoir qu'il "refusait catégoriquement" l'invitation de la Fondation Clément à participer au vernissage, argumentant que les murs où se trouve l'exposition "résonnent encore des cris de douleurs de nos ancêtres...heurte sa conscience politique et morale".
Le parti d'extrême gauche le PKLS "condamnait la visite de l'autocrate Talon" le président du Bénin venu spécialement pour l'occasion. Et dans ce contexte de tension, le préfet de Martinique "en prévention de troubles éventuel à l'ordre public" avait interdit par arrêté "tout rassemblement au sein d’un périmètre défini sur la commune du François". Soit autour de l'habitation Clément, précisément le jour du vernissage de l'exposition le 14 décembre.
Aimé Césaire et l'arbre de la fraternité
Dans ce contexte particulier, la prise de parole de Bernard Hayot était attendue. D'autant que l'homme d'affaires le plus connu de Martinique cultive la discrétion. Un discours en présence du Président de la République du Bénin, Patrice Talon rehaussait encore plus la tension dans l'assistance venue nombreuse.
Dans ces premiers mots Bernard Hayot a précisé les origines de la venue de l'exposition en Martinique, elle fut provoquée par l'intérêt porté par Jean-Paul Jouanelle, ancien délégué général de Contacts Entreprises. Mais il a surtout précisé plusieurs fois la vocation de la Fondation Clément symbolisée par la plantation d'un arbre, le courbaril, en présence d'Aimé Césaire et de Camille Darsière. C'était le 17 décembre 2001.
Ce jour-là, un jour riche en émotion et en symboles, un jour d’immense fierté pour moi et ceux qui m’entourent, Aimé Césaire me regarde de ses yeux pétillants et me dit « je plante ici l’arbre de la fraternité » .... Depuis cette date nous nous appliquons à la Fondation Clément à organiser des évènements qui vont au-delà de la seule mise en valeur de tel ou tel talent artistique.
Bernard Hayot
En "héritier politique d'Aimé Césaire", Serge Letchimy avait répondu des années plus tard aux invitations de Bernard Hayot, à l'Habitation Clémént au pied du courbaril pour perpétuer le symbole de la fraternité voulu par Aimé Césaire.
Un appel à la tolérance
Selon le décompte de la Fondation Clément, près de 200 artistes ont exposé à la galerie toujours"dans cet esprit d’ouverture et de liberté d’expression, dont l’art est un formidable vecteur". 137 expositions ont été organisées et ont touché les 200 000 visiteurs annuels de l'Habitation Clément. Fort de ce bilan, le patron des lieux veut encore aller plus loin, en maintenant l'esprit de fraternité et de tolérance insufflé par Aimé Cédaire il y a 20 ans.
Le message d’Aimé Césaire symbolisé par le Courbaril m’autorise je le crois à dire que ce pays de Martinique qui est le nôtre à tous, a besoin de plus de tolérance, de plus de fraternité. Profondément attaché à mon pays j’ai toujours souffert de ces clivages, de cette méfiance qui séparent et souvent divisent les Martiniquais. Croyez bien que je suis on ne peut plus conscient de cette période douloureuse de notre l’histoire.
Bernard Hayot
Un nouveau symbole
Si les racines du courbaril de l'Habitation Clément s'allongent depuis plus de 20 ans, elles n'atteignent pas ceux qui estiment que l'Habitation devrait être aussi un lieu de commémoration, en hommage aux hommes et femmes qui ont subi l'esclavage en ces lieux.
La fin du discours de Bernard Hayot vise à consolider l'esprit de fraternité souhaité par Aimé Césaire et répondre aux revendications actuelles.
Je crois qu’il est l’heure pour moi, à mon tour, de consolider l’enracinement de cet arbre emblématique. Je demanderai à un artiste martiniquais de réaliser une œuvre d’art qui sera toute entière conçue en hommage à la mémoire de tous ceux qui ont vécu en esclavage et qui trouvera sa place, ici, à l’Habitation Clément.
Bernard Hayot
Pour l'heure, aucun artiste n'a été désigné depuis cette annonce. Le choix sera délicat pour Bernard Hayot qui devra trouver un artiste dont la réputation devra faire l'unanimité et surtout dont l'œuvre devra symboliser un passé douloureux et un avenir fraternel. C'est toute la complexité d'une œuvre d’art, on peut l'approcher objectivement par la perfection de sa réalisation technique et subjectivement pour son contenu.