Université des Antilles : le rapport qui jette un pavé dans la mare

Fin janvier 2020, les députées Josette Manin et Danièle Hérin, remettaient leur rapport sur l'état actuel de l'université des Antilles. 56 pages accablantes relatant la guerre ouverte entre les pôles (Guadeloupe et Martinique) et dont les recommandations ont été mal vécues par certains. 
30 pages, pas moins! C'est ce qu'il aura fallu aux deux rapporteures du dit rapport d'Information Parlementaire pour expliquer à quel point rien ne va plus à l'Université des Antilles. 

De l'éclatement de l'UAG (Université des Antilles et de la Guyane) en 2013 à l'instauration du cadre juridique de l'UA (Université des Antilles) avec la loi de 2015, tout y passe. Les deux premières parties sur les trois que compte le document, établissent donc un état des lieux des plus déplorables :
Arrêts longues maladies à répétition
Guerres intestines
Rivalité entre les deux pôles
plaintes pour agressions
demande de mesures de protection.

Ces tensions n'ont jamais cessé et la séparation de la Guyane n'a fait qu'exacerber la rivalité historique entre les deux îles (ndlr: Martinique et Guadeloupe)" posera le rapport dès le début (p.7/56).

L'affaire CEREGMIA entre symptôme et stigmate d'une situation grave


Le constat aurait pu s'arrêter là mais le rapport n'aura pas passé sous silence l'affaire CEREGMIA.

Créé en 1986 par le professeur Fred Celimène, le Centre d'Études et de Recherche en Économie, Gestion, Modélisation et Informatique Appliquée, a en effet défrayé la chronique. Jusqu'à ce que, comme le rappellent les rapporteures, en avril 2019, le procureur de Martinique demande au juge d'instruction de se dessaisir de l'affaire au profit du parquet national financier.

Les chefs de délits sont nombreux :
- Atteinte à la liberté et à l'égalité d'accès aux marchés publics ou de délégation de service public et recel.
- Escroquerie en bande organisée au préjudice des intérêts financiers de l'Union Européenne, par la captation indue de fonds communautaires
- Soustraction de biens publics par une personne chargée d'une fonction publique.
- Faux en écriture et usage
- Immixtion d'une fonction publique.

Connue pour d'importantes malversations financières, l'affaire CEREGMIA a été, selon les députées Josette Manin et Danièle Hérin, le principal symptôme des dysfonctionnements d'une université dont la gouvernance pose problème.
 

La gouvernance de l'UA passée au crible


Après avoir "ausculté" l'Université des Antilles, de son fonctionnement à son financement en passant par ses ressources humaines, le rapport va s'attacher à expliquer la gouvernance actuelle de l'institution d'enseignement supérieur. Et ce n'est pas une mince affaire.

La loi de 2015 portant création de l'Université des Antilles, contrat de site, rapport du HCERES (Haut Conseil de l'Évaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur), rapport de l'IGAENR (Inspection Générale de l'Administration de l'Éducation Nationale et de la Recherche), mission de François Weil, conseiller d'État, rapport de l'AMUE (Agence de Mutation des Universités et Établissements); tous les textes et travaux fixant ou décortiquant la gouvernance de l'UA sont passés à la loupe. 

Et le constat est sans appel : "Ambiguïtés juridiques problématiques", "dysfonctionnements administratifs sérieux", "insuffisances structurelles", "rivalités exacerbées entre les pôles"...
Pour les rapporteures il faut une réforme en profondeur des instances de gouvernance et de leur organisation entre les deux pôles.

Des recommandations parfois mal interprétées

 

Sur 3 pages et demi, Josette Manin et Danièle Hérin vont finir par émettre des recommandations très précises.
Pour y arriver, elles s'appuient sur un constat simple. La répartition des moyens entre les pôles (Martinique, Guadeloupe) est inéquitable.

Avec 33.64% pour la Martinique et 66.36% pour la Guadeloupe, cette répartition est, selon les rapporteures, calculées par la direction de l'UA (basée en Guadeloupe) sur la base des effectifs étudiants, des enseignements dispensés et de l'activité de recherche de chaque pôle. C'est la clef de répartition choisie par le conseil d'administration de l'UA en avril 2018.

Cette fameuse clef de répartition est interrogée, sans être dénoncée, par le rapport. Ainsi, les rapporteures proposent de "repenser la question de la répartition des moyens sur de nouvelles bases".
Leur argument principal : la clef de répartition ainsi définie ne permet pas le développement d'un portail d'enseignements suffisants en Martinique du fait de son nombre sans cesse décroissant d'étudiants. Et moins il y a d'étudiants, moins il y a d'offre et moins il y a d'offres, moins il y a d'étudiants. C'est le chien qui se mord la queue ! 

Une nouvelle scission sonnerait le glas de l'Université !


Pour un partage équilibré, le rapport demande donc "que les moyens attribués au pôle initialement surdoté soient sanctuarisés à la date de création de l'UA... Il s'agit que le rééquilibrage ne se fasse pas en prélevant sur l'autre pôle mais par une contribution additionnelle de la part du ministère" (p. 30, 31/56).

Pour Josette Manin et Danièle Hérin c'est une condition sine qua non à la survie de l'Université des Antilles. Survie qui tient donc à un effort de la part de l'État. Car, une nouvelle scission sonnerait le glas de l'Université. On en est là !

Mais c'est sur la partie "déconcentration administrative" (p. 33/56) que le rapport fait grincer des dents côté guadeloupéen.

Dans leur document parlementaire, les rapporteures recommandent en effet que les services administratifs, aujourd'hui concentrés sur la Guadeloupe, soient équitablement "répartis" sur les deux pôles. Ainsi la Martinique pourrait récupérer certains services ce qui contribuerait, selon Josette Manin et Danièle Hérin, à apaiser "le sentiment de laissé pour compte" percu côté martiniquais.

Il ne s'agit en aucun cas de délocaliser la direction de l'université de la Guadeloupe vers la Martinique mais bien d'une répartition équitable des services administratifs de l'UA entre les deux pôles.

Cette révision de la gouvernance de l'UA, appelée de leurs voeux par les rapporteures du document, n'est une surprise pour personne. La rivalité entre les deux îles françaises de la Caraïbe pour ce qui est de l'enseignement supérieur sur leurs territoires, pénalise depuis bien trop longtemps l'essor de l'unique université française du bassin. 

L'Université des West Indies (UCWI) prise en exemple

 

Ce que proposent en filigrane Josette Manin et Danièle Hérin c'est une université où chaque pôle bénéficierait de son autonomie mais qui demeurerait une seule et même entité d'enseignement supérieur un peu comme l'UCWI (Université des West Indies).

L'université des Indes Occidentales, comme l'appellent les anglophones, est en effet partagée par pas moins de 17 États de la Caraïbe. Elle compte 3 campus (Barbade, Jamaïque et Trinidad et Tobago) sans que cela n'ait jamais posé de problèmes, bien au contraire.

Aujourd'hui, elle est classée parmi les 10 universités les plus performantes au monde en matière de résultats scolaires mais aussi d'offres d'enseignements. La clef de son succès : des campus complémentaires plutôt que concurrentiels.

Arrivera-t-on à mettre de côté les égos pour effacer les rivalités et parvenir au développement d'une Université des Antilles unie et cohérente en matière d'offre d'enseignements? 
Pour cela encore faudrait-il que la volonté politique rejoigne le désir de proposer des cursus universitaires complémentaires et en adéquation avec les besoins des territoires concernés (Martinique, Guadeloupe).

Le rapport d'information
http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i2614.asp