Vie chère : Marie-Laurence Delor, professeure de philosophie et l'économiste Jean-Marie Nol, sans concession dans une analyse croisée

Pancarte contre la vie chère (illustration).
Si l’opinion considère très majoritairement que la cherté de la vie en Outre-mer est "une cause juste" pour manifester (comme lors de la grande grève de 2009 aux Antilles-Guyane), elle reste toutefois divisée quant aux méthodes déployées par l'association RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuple et des Ressources Afro Caribéens). Marie-Laurence Delor et Jean-Marie Nol jettent un regard intraitable sur les exactions, les acteurs, les postures et les solutions potentielles.

Les discussions ont repris en Martinique ce jeudi 10 octobre 2024 entre élus, acteurs économiques et les membres de l'association RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuple et des Ressources Afro Caribéens) à l'origine de la mobilisation citoyenne contre la vie chère depuis le 1er septembre dernier.

Cette nouvelle table ronde intervient après de multiples tensions, provocations, pillages, incendies et violences ponctuées parfois de propos racistes. La nuit du 9 au 10 octobre 2024 aura été encore une triste illustration dans plusieurs communes du nord, du centre et du sud du territoire.

Ce climat très dégradé dans l’île est relayé au quotidien sur les réseaux sociaux, avec aussi son lot de manipulations et de fake news (informations fallacieuses), singulièrement depuis le renfort d'une CRS (Compagnie Républicaine de Sécurité) aux côtés des gardiens de la paix de l’île.

Deux missions différentes

Ces derniers sont des agents d’autorité qui préviennent entre autres, "les actes de délinquance et interpelle les auteurs d’infractions pénales". Tandis que les CRS ont notamment pour mission "le maintien et le rétablissement de l’ordre" ainsi que "la lutte contre les violences urbaines et les émeutes".

Police

Deux tribunes sans concession

C’est dans ce contexte éruptif que nous proposons dans cet article, le regard croisé d’une professeure de philosophie (Marie-Laurence Delor) et d'un économiste (Jean-Marie Nol), deux antillais qui n’ont pas la langue de bois. Ces deux tribunes sans concession ont été publiées respectivement le 28 septembre et le 1er octobre 2024.

Ces analyses affranchies du prisme émotionnel et d’amalgames volontairement entretenus dans certains cas à visées politiques, ont vocation à alimenter un débat encore d’actualité depuis la grande grève de 2009. Pour la majorité de l’opinion martiniquaise, c’est une "cause juste". En revanche, "la méthode" et la légitimité de certains leaders du mouvement sont contestées, en particulier sur les réseaux sociaux.

Ce n’est pas parce qu’une petite minorité instrumentalise un problème réel (le RN a prospéré de cette façon), qu’elle peut prétendre représenter le peuple, prétendre parler et agir en son nom, alors même qu’elle le violente, qu’elle l’agresse dans les faits. Rien à voir avec la grande mobilisation de masse de 2009.

Marie-Laurence Delor

L’enseignante en philosophie fait observer dans son post sur Facebook, que "la question du pouvoir d’achat est devenue ces deux dernières années, la priorité des français de l’hexagone comme des Outres-mers ; d’autre part, qu’il n’y a pas d’alignement systématique des prix entre et dans les différentes régions de l’hexagone".

"Le danger à terme en Martinique, c’est celui d’aboutir à une situation proche de celle que subit aujourd’hui Haïti"

Marie-Laurence Delor conclut ainsi son analyse, sous forme de mise en garde, en lançant un pavé dans la mare des élus et des représentants syndicaux :

Le défilé sur l’avenue de Sainte Thérèse (septembre 2019), entrée principale de la ville [de Fort-de-France], de plus d’une centaine de motards avec de grosses cylindrées, bardés de chaînes d’or avec à leur tête, un rappeur vedette au nom évocateur, drapeau rouge, vert, noir en main, était une préfiguration de cette abdication des politiques et des syndicalistes face aux voyous. C’est une dérive politique et syndicale, une faute grave d’appréciation. Le danger à terme en Martinique, c’est celui d’aboutir à une situation proche de celle que subit aujourd’hui Haïti et certaines banlieues de l’hexagone, ou encore certaines villes et quartiers du Mexique.

M.L Delor

"Toute solution durable à cette question doit passer par un changement de paradigme"

Pour Jean-Marie Nol, la solution de la vie chère passe par "une refonte du modèle économique actuel". L’économiste considère en effet que "le manque de concurrence réelle dans certains secteurs de l’économie, comme la grande distribution, freine la baisse des prix et limite le pouvoir d’achat des consommateurs".

Pour briser ce modèle, il est nécessaire de repenser la régulation du marché et d’encourager l’émergence de nouvelles entreprises locales capables de concurrencer les monopoles en place. Cela pourrait passer par des réformes fiscales et des incitations à l’entrepreneuriat, ainsi que par un encadrement plus strict des pratiques anticoncurrentielles. De plus, la question de la vie chère est indissociable de l’inégalité des revenus et de la précarité sociale qui caractérisent la Guadeloupe et la Martinique.

Jean-Marie Nol

L’analyse parue sur le site madinin-art.net, met aussi en garde le gouvernement sur "la gestion" de ces crises sociales récurrentes dans les territoires d’Outre-mer. "Ne pas répondre aux revendications pourrait exacerber les tensions".

La crise de 2009 en Martinique, Guadeloupe et d’autres territoires avait déjà montré les dangers d’une mauvaise gestion de ce type de crise. Mais ne pas répondre aux revendications pourrait exacerber les tensions sociales et entraîner des perturbations économiques encore plus coûteuses à court - moyen - long terme. Cependant à très court terme, cela semble mission impossible. La marge de manœuvre financière de l’État français est très limitée dans le contexte actuel. Il sera difficile de financer des mesures coûteuses comme la suppression de la TVA, la mise en œuvre de la continuité territoriale ou la péréquation pour le fret maritime sans aggraver encore le déficit public ou la dette. Toutefois ceci paraît impossible en un court laps de temps.

J.M Nol