"À Mayotte, on est avec 12 000 naissances par an, la plus grosse maternité d'Europe".

Bébé à la maternité de Mamoudzou
Ce sont les paroles de la députée Liot, Estelle Youssouffa. Des paroles tenues en février 2024 sur RTL face au journaliste Yves Calvin. Si ce chiffre n'apparaît dans aucune statistique publique, il est en tout cas proche de la réalité. En effet depuis 2012, la maternité de Mayotte bat tous les records en termes de naissances. En 2023, l'INSEE avait enregistré 10 280 naissances. Cela représente 500 bébés en moins comparé à l'année précédente, mais le taux de fécondité reste tout de même élevé avec 4,5 enfants par femme.

Le centre hospitalier de Mayotte dont le siège est situé à Mamoudzou est en ce moment composé de trois unités de maternités. La principale, celle de Mamoudzou qui représente 70% des naissances selon un rapport sénatorial publié en juillet 2022. C'est d'ailleurs la seule à bénéficier de la présence de médecins obstétriciens, d'anesthésistes-réanimateurs et de pédiatres. Elle comporte également un service de néonatalogie réanimation néonatale. Il y a ensuite les maternités périphériques de Pamandzi et Kahani. Celles de Mramadoudou et Dzoumogné sont par contre fermées depuis 2023, malgré les nombreux mouvements d'humeur des agents hospitaliers de là-bas qui réclament leur réouverture, soutenus souvent par des femmes enceintes des environs, qui seraient rassurées d'accoucher près de leur lieu d'habitation.

Le pôle maternité, naissance et prévention

Crée en 2009, ce pôle réalise une grande partie de l'activité de soins du CHM et prend en chargé le suivi gynécologique et obstétrique de la quasi-totalité des patientes de Mayotte. Il propose une offre de soins multidisciplinaire pour la femme. Une équipe de professionnels assure la prise en charge qu'elle soit physiologique ou pathologique ou le suivi des nouveau-nés.

En lien avec le réseau périnatal de santé de Mayotte (REPEMA), le pôle collabore avec les professionnels de santé libéraux de l'île, les PMI, les réseaux de santé et le centre hospitalier universitaire de la Réunion.

Quelques chiffres : en 2023

10 284 naissances

15% de césarienne

18% de péridurale

160 lits d’hospitalisation

La maternité, lieu de toutes les tensions

La maternité de Mamoudzou reste la plus productive de France et même d'Europe. Avec plus de 4 enfants par femme, contre 1,6 dans l'Hexagone, la fécondité reste soutenue dans le 101ème département. Autres chiffres marquants, en 2023, 4,2% des naissances sont le fait de mères mineures contre 1,7% à la Réunion et 0,4% dans l'Hexagone.

La maternité de l'île n'est jamais loin du craquage en termes d'intensité de travail. Et le service manque de tout, surtout d'effectif. Il y a souvent, pour ne pas dire constamment des postes vacants chez les sages-femmes et les gynécologiques. Pour continuer à tenir la cadence, d'innombrables avantages sont proposés par l'hôpital pour rendre les postes attractifs : des contrats de 3 mois pour sage-femme par exemple, des allers-retours payés vers l'Hexagone, primes d'éloignement, logement de fonction, salaire majoré de 40% par rapport à la métropole. Les personnes qui se laissent tenter par l'aventure sont pour la plupart attirées par la promesse d'une évolution rapide. En 2021, seuls 19 postes qualifiés étaient pourvus au pôle « gynécologie obstétrique », pour parfois 40 naissances par jour.

Les agents du CHM

Un turn-over constant des femmes qui accouchent

Face au manque de personnel, les femmes enceintes doivent s'armer de beaucoup de patience. Patienter durant les jours de rendez-vous pour les échographies pendant la grossesse, patienter aussi dans les couloirs de la maternité lorsqu'on veut accoucher. En effet, nombreuses sont celles qui, souvent, se retrouvent assises sur un banc, une chaise, alors qu'elles sont en travail. Nombreuses sont aussi les femmes et leur nouveau-né dans les bras, sur un lit, dans un couloir, faute d'une chambre libre à l'abri des regards. Selon un rapport interne du CHM, le taux d’occupation des lits de la maternité avait atteint 145% en 2021 alors même que les recommandations nationales pour les services d'obstétrique sont de 85%. Cette attente est la raison pour laquelle de nombreuses femmes font le choix de rester chez elles le plus longtemps que possible après avoir perdu les eaux, se rendant à l'hôpital au dernier moment.

Ce manque de salles d'accouchement à la maternité de Mamoudzou va à l'encontre de la réglementation encadrant le fonctionnement de ces établissements. Le nombre de salles de travail par structure doit être adossé au volume d'activité. Une salle est nécessaire pour 500 accouchements, jusqu'à 3000 accouchements par an. Au-delà des 3000 premières naissances, c'est une salle pour 1000 accouchements par an. La maternité de Mamoudzou devrait donc en compter au moins 13 pour fonctionner normalement, alors qu'actuellement, l'infrastructure en compte 7 pour parfois plus de 40 accouchements par jour.

Parcours de soins de la femme enceinte à Mayotte

Une fois la grossesse confirmée par un test et une prise de sang, il est primordial de se faire suivre tout le long des 9 mois dans la mesure où être enceinte est un phénomène physiologique. Éviter donc toute complication pour la maman et le nouveau-né est plus que nécessaire. Commence alors un vrai parcours du combattant durant lequel, la patience est de mise.

Les femmes enceintes ont le choix entre les cabinets de sages-femmes libérales, les médecins généralistes et deux spécialistes en gynécologie obstétrique, 18 centres de PMI accessibles sur l'ensemble du département et le pôle gynécologie obstétrique du CHM qui gère 3 maternités. La maternité centrale de Mamoudzou qui concentre tous les effectifs d’obstétriciens, de pédiatres et d’anesthésistes, plus les 3 maternités périphériques chargées de :

  • La prise en charge des grossesses normales.
  • Le suivi partagé avec la maternité centrale à Mamoudzou de certaines grossesses à risque.
  • La prise en charge des suites de couches.
  • La gestion des transferts de et vers la maternité centrale de Mamoudzou.

Maternité

Le suivi prénatal, jusqu'au 3ème trimestre de grossesse

Il est assuré principalement par les sages-femmes des centres de PMI et par les professionnels du secteur libéral si la patiente est assurée sociale. Et de plus en plus de femmes font le choix des sages-femmes privées pour plus de confort et moins de temps d'attente.

Les échographies de dépistage

Elles sont accessibles dans toute l’île, dans les maternités périphériques et certains cabinets de sages-femmes libérales. Grâce à une échographie et des prises de sang, le dépistage évalue la probabilité que le fœtus ait ou non une trisomie 21. Un diagnostic (par analyse des chromosomes du fœtus suite à un prélèvement à travers le ventre) pourra ainsi être proposé uniquement aux femmes chez qui cette probabilité est très élevée. Et l’accès au diagnostic des risques dépistés ne peut se faire que dans le service de gynécologie obstétrique de Mamoudzou.

Les échographies de suivi menstruel

Les échographies de suivi menstruel peuvent se faire chez les sages-femmes libérales, dans les PMI ou au CHM. Cela permet à la future maman de faire, au moins une fois par mois, le point avec un professionnel sur son état de santé et celui de bébé. Cela permet de détecter d'éventuelles mal formations et de réfléchir à des solutions adaptées à chaque cas.

Les prises de sang

Pour s'assurer que bébé va bien, ainsi que la maman, un grand nombre d'analyses sanguines sont réalisées au cours de la grossesse. Des prises de sang facultatives peuvent aussi être demandées par le médecin si la femme enceinte a une disposition à telle ou telle pathologie comme le diabète par exemple.

En cas de suspicion ou d’antécédent de grossesse extra-utérine ou de fausse couche, une prise de sang peut être effectuée afin de doser l'hormone HCG (Hormone Chorionique Gonadotrope). Celle-ci est sécrétée par le placenta à partir de la nidation de l'embryon dans l'utérus. Durant les premières semaines de grossesse, le taux d’HCG double toutes les 48 heures. Le maximum est atteint vers la 10ème semaine d'aménorrhées (12 semaines de grossesse) avant de décroître. On peut se rendre directement auprès d’un laboratoire pour réaliser cette prise de sang mais, sans ordonnance, elle ne sera pas remboursée par la Sécurité sociale.

Autre prise de sang, celle qui permet de détecter la rubéole. C'est une maladie bénigne mais qui peut être dangereuse lorsqu'elle est contractée au cours du 1er trimestre de la grossesse. Le seul moyen de savoir si la femme enceinte a une immunité vaccinale suffisante est de faire une prise de sang afin de mesurer son taux d'anticorps antirubéoleux. Et il n'est pas nécessaire d'être à jeun pour l'effectuer. 

Comme pour la rubéole, le dépistage de la toxoplasmose est obligatoire chez les femmes enceintes. Cette infection, si elle est contractée en début de grossesse, est susceptible de provoquer des lésions chez l’enfant, en particulier au niveau du cerveau et de l’œil. Si le test est positif, c’est qu’on a été en contact avec la maladie et qu’on est protégée. Dans le cas contraire, une prise de sang doit être pratiquée tous les mois pour contrôler qu’on n’a pas attrapé la maladie, jusqu’à la fin de la grossesse. Il n’existe pas de vaccin contre la toxoplasmose.

Au début d'une grossesse, une ordonnance est délivrée à la future maman afin d’effectuer une prise de sang pour vérifier son groupe sanguin et son rhésus. La connaissance du rhésus est importante pour déterminer une éventuelle incompatibilité sanguine entre le fœtus et la mère. La recherche des agglutines irrégulières, c’est-à-dire des anticorps dangereux pour le fœtus, est systématiquement réalisée chez les femmes enceintes qui ont un rhésus négatif. Si la future maman présente un rhésus négatif et le bébé un positif, une injection d’anti-D sera proposée au 3ème trimestre de la grossesse et après la naissance. Le groupe sanguin est, quant à lui, nécessaire dans le cas où une hémorragie importante venait à se déclarer au moment de l’accouchement et que la maman avait besoin d’une transfusion. En l’absence de carte de groupe sanguin, deux prélèvements sont nécessaires.

Si la femme enceinte est à risque de développer un diabète gestationnel, elle doit effectuer un examen avec l’absorption de 75 g de sucre en une fois, et trois prises de sang : la première à jeun, la deuxième une heure après la prise de glucose, et la troisième deux heures après. D’autres prises de sang peuvent être effectuées sur recommandation du médecin ou d'une sage-femme.

    Les risques spécifiques materno-fœtaux

    En ce qui concerne les risques spécifiques materno-fœtaux, une filière spécifique est organisée dans le service de gynécologie obstétrique du centre hospitalier de Mamoudzou allant des consultations programmées jusqu’à l’unité d’hospitalisation. Si un très haut risque est détecté, un transfert in utero peut être envisagé vers la maternité de niveau 3 du Centre Hospitalier Universitaire de La Réunion. Pour les risques fœtaux, l’unité de diagnostic prénatal réalise des consultations spécifiques et des échographies de diagnostic, en lien avec le Centre de diagnostic du CHU de La Réunion.

    sages-femmes au CHM

    L'accouchement

    Les femmes enceintes sont orientées par la sage-femme de PMI et le professionnel libéral vers les maternités périphériques et la maternité de Mamoudzou afin qu’elles puissent avoir un 1er contact avec l’équipe responsable de l’accouchement. L’orientation à la maternité de Mamoudzou se fait selon le niveau de risque. Par exemple, à partir d'un certain nombre de kilos de la maman, l'accouchement se réalise automatiquement à Mammoudzou.

    Après l'accouchement

    En post-partum, en raison du manque de places d’hospitalisation à la maternité de Mamoudzou, les patientes ayant accouché par voie basse sont transportées avec leurs bébés vers les maternités périphériques où elles séjournent 2 ou 3 jours. Celles qui ont eu une césarienne partent vers la maternité périphérique au 3ème jour.

    Des accouchements hors de Mayotte très nombreux

    En raison des points soulevés dans cet article, chaque année, de plus en plus de femmes font le choix de ne pas accoucher à Mayotte. Ce nombre de naissances hors département de mères domiciliées à Mayotte était de 310 en 2023, la moitié ayant eu lieu à l'île de la Réunion et l'autre moitié en France métropolitaine. "Pour notre premier enfant, mon mari ne m'a pas laissé le choix. Il m'a accompagné jusqu'en métropole dès le 5ème mois. Ma grossesse était compliquée, lorsqu'on se rendait aux urgences pour une complication, on avait l'impression d'être négligés, alors on est parti. Là-bas, j'ai eu un suivi plus calme, je me sentais écoutée, la sage-femme avait du temps pour moi et même de calmer mes angoisses. Un luxe qu'on ne peut pas se payer à Mayotte, vu le nombre de femmes dont il faut s'occuper à la fois. Je ne regrette pas mon choix. Et pour mon deuxième enfant, je n'ai pas hésité un seul instant. J'ai voulu offrir à mon bébé les mêmes chances de prise en charge que sa grande sœur". Voici les paroles de Hairia, une maman d'une trentaine d'années, des paroles qu'elle est loin d'être la seule à tenir. Âgée elle de 40 ans, Raslati a accouché son 4ème enfant à Mamoudzou après une mésaventure à la Réunion ayant coûté la vie à son bébé précédent. "Je pensais mettre toutes les chances de mon côté en allant à la Réunion mais au final, avec le décès de mon bébé, je me suis rendu compte que peu importe où on accouche, il faut juste prier le ciel que tout se passe bien et qu'on rentre chez soi saine et sauve, avec son bébé dans les bras. Oui il m'avait fallu partager la chambre avec 3 autres femmes, mais la présence de mon bébé à mes côtés était tout ce qui comptait. Il était là, devant moi, bien vivant et j'étais la plus heureuse".

    Accoucher à Mayotte est un réel parcours du combattant. La maternité est hors du commun comparé à tous les autres départements de France. Depuis le passage du cyclone Chido, les conditions de travail du personnel médical sont encore plus difficiles. Le service maternité ayant en effet pris un coup. Des images de bébés mis à l'abri par le personnel soignant ayant les prix dans l'eau ont fait la Une des médias au mois de décembre de l'an dernier. Depuis, les choses sont loin d'être parfaites mais la maternité, toujours fonctionnelle.

    Si pour de nombreuses Mahoraises, les lieux sont loin d'être l'endroit idéal pour y accueillir leurs enfants, il est au contraire un eldorado pour les femmes Comoriennes ayant le souhait d'être prises en charge convenablement et dans des conditions de sécurité optimum. Les 3/4 des bébés accueillis sont d'ailleurs de mères étrangères.