Ali Madi, un activiste plutôt qu'un politique dans la protection de l’environnement

Ali Madi est à la tête de la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales
La protection de l’environnement a toujours mobilisé la population. Aux années 90, des opérations comme « Ourahafou oi maoré », « Grand nettoyage de Mayotte », se déroulaient sur tout le territoire, portée par des bénévoles. Les actions de proximité auprès des habitants ont permis un début de sensibilisation, mais les autorités n’ont pas su les accompagner.

Le président de la fédération mahoraise des associations environnementales, FMAE, est considéré comme un trouble-fête ; peut-être parce que son discours est plutôt direct et sans fioritures.

ALI Madi, où en sont aujourd’hui, les associations de protection de l’environnement à Mayotte ?

Il y a du tout et de rien.

Les acteurs que je félicite, que j'applaudis sont des Associations de quartiers, de villages qui pallient, de manière citoyenne et bénévole au manquement des institutions publiques face à leurs missions. Oui, il y a bien une défaillance des politiques publiques. Ces associations, ces acteurs nettoient nos quartiers, nos espaces et nos ouvrages publics dont de gestion d'eaux pluviales tels que les caniveaux, les rivières, les plages, les mangroves et j'en passe. Elles embellissent nos espaces de vie, fleurissent nos quartiers, protègent nos zones humides, notre patrimoine, nos ziaras, … Elles s'inscrivent pleinement dans les 17 Objectifs de Développement Durable (https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/) et dans la bioculture. Elles ne perçoivent aucune subvention. D'ailleurs, en général, elles n'en demandent même pas. Elles demandent juste des outils comme des sacs poubelles ou des plantes. Même ça, dans beaucoup de cas, leurs bénévoles les payent de leurs poches. Malheureusement, il n'y a pas d'organisation pour valoriser ses initiatives et démarches d’actions populaires. D'ailleurs, pour la majorité, ces associations sont composées de jeunes mineurs et lycéens. C’est donc à l’image de la population mahoraise dont la grande majorité a moins de 25 ans. Une jeunesse dynamique et citoyenne qui a de l’énergie et de la volonté à faire avancer leur territoire.

Il y a, à ma connaissance, plus de 600 associations de protection de l’environnement recensées en activité ou pas. Soit, en moyenne, avec les 300 000 habitants de l’île, une association pour 50 000 habitants. Près de la moitié mèneraient des actions plus ou moins structurées (il n’y a pas de petites actions); des actions qui ne seraient pas forcément toutes connues par les institutions publiques. Une petite centaine serait accompagnée, recevrait des aides matérielles et/ou financières. Les actions de cette petite centaine seraient plus ou moins connues administrativement par les institutions publiques. Une trentaine serait assez bien structurée, dont moins de vingt s’inscriraient pleinement dans les politiques publiques des institutions locales, nationales, européennes, voire internationales.

Le défi que s'est fixé la FMAE est de mettre en lumière les initiatives locales et leurs acteurs, ces forces vives qui ne perçoivent rien, mais qui sauvent l'action publique.

 

La protection de l‘environnement semble se focaliser essentiellement sur la protection des tortues, pourquoi ?

 

Focaliser pour et par qui?

Parce que la plage est le terrain de jeux de certains touristes et fonctionnaires qui préfèrent les faire visiter aux ministres et autres personnes venues de l'Europe que de montrer les vraies préoccupations des mahorais à l’intérieur des terres, des villages, de nos forêts et autres espaces naturels.

Moi, qui suis au cœur du monde associatif, sur les 600 associations, moins de 5 s'occupent des tortues, seulement elles sont une minorité extrêmement visible. Néanmoins, la vraie question c’est: Elles sont visibles où et par qui par rapport au quotidien de la population ?

 

D’après vous, quelles autres espèces animales doivent faire l’objet d’une protection ?

 

Mayotte possède une biodiversité faunistique et floristique qui le place parmi les spots mondiaux avec des espèces extraordinaires qui méritent toute notre attention. Cependant on ne peut pas tout faire. Nous avons fait le choix, au niveau de la FMAE, de travailler, dans un premier temps, sur les pollinisateurs (https://pollinisateurs.pnaopie.fr/)  dont les abeilles. On va y rajouter les papillons et les « gwegwe » en 2023. Les partenaires institutionnels sont le Département de Mayotte, la DEAL, l’OFB, la DRAJES, le secret du miel, la bergerie nationale, l’OPIE, le MUMA.

Nous travaillons également sur le couleuvre de Mayotte à partir de cette fin d’année 2022 et jusqu’à 2031 avec le soutien de la DEAL ( https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjju8mikeL6AhUHYxoKHZH9BOcQFnoECA8QAQ&url=https%3A%2F%2Fbiodiversite.gouv.fr%2Fprojet-pna%2Fwp-content%2Fuploads%2FPNA_couleuvre_de_Mayotte.pdf&usg=AOvVaw3EAaGuq763X_oH5SKQUlO8)

Nous réfléchissons sur la faune aquatique, d'eau douce, les oiseaux, dont les chouettes effraies et les hiboux et enfin à tous les prédateurs.

Comme vous pouvez le constater, le sujet et cette faune sont vastes et nous y entrons progressivement.

 

Est-ce que la FMAE collabore avec des institutions comme le Parc marin, les Naturalistes ou encore Sea Shepherd ?

 

Puis-je faire un petit éclat de rire?

Oui, la FMAE travaille avec le parc marin dont nous assurons la Vice-Présidence et d'autres institutions.

Entre autres, avec le parc marin, nous travaillons ensemble sur un projet dénommé les Associations Ambassadrices du Lagon (AAL). Le projet a commencé en 2021 et continue jusqu'à 2025. Les autres partenaires institutionnels sont la CCSud, le Conseil Départemental, le Gal Sud et la DRAJES. Il concerne 10 associations des 4 communes du Sud. L’objet du projet est d'accompagner les associations de ces communes à monter en compétences dans le thématique du continuum terre-Mer. A ce propos, la FMA met à la disposition de ces associations un espace de co-working à Bouéni.

D'autres projets sont en cours comme RICOMAY pour les mangroves, avec l’OFB. Ce projet est co-porté avec l’UICN et mobilise 5 associations sur 5 sites de mangroves.

Concernant l’eau, les partenaires institutionnels sont la commune de Koungou, la Politique de la ville de Koungou, le Département de Mayotte, l’ARS, la DEAL et l’Union Européenne.

La deuxième partie de la question n'a ni de sens ni sa place ici. En effet, la FMAE compte une soixantaine d’associations sympathisantes, dont plus d’une trentaine adhérente. Vous comprenez que je ne vais citer que quelques-unes, mais cela n’enlève en rien les mérites de celles que je ne vais pas citer. A la FMAE, nous sommes honorés de travailler avec des associations comme l'ACEEM de Moinatrindri qui reboisé le padza de Moinatrindri afin de protéger ce village contre les glissements de terrain et les éboulis et après des années d'échecs des institutions publiques à mener de telles actions. A la FMAE, nous sommes honorés de travailler avec Wenka Culture, qui, entre autres, fait un travail exceptionnel d'insertion des jeunes à travers la protection de l’environnement et l’économie circulaire. Elle a remis au goût de tous, la poterie maoraise, redonne vie aux palettes en en faisant des meubles. A la FMAE, nous sommes honorés de travailler avec Jardin de Mtsangamouji qui restaure la lagune d'Ambato, le coprah pour ne citer que ces deux actions parmi ses milles actions. A la FMAE, nous sommes honorés de travailler avec Rando Clean. A la FMAE, nous sommes honorés de travailler avec le GIASM dans ce combat en faveur de l’autosuffisance alimentaire. A la FMAE, nous sommes honorés de travailler avec 976 Sud Prévention dans son engagement en faveur d’un meilleur cadre de vie dans la commune de Bandrélé notamment. A la FMAE, nous sommes comblés de compter parmi nous, tous ces acteurs mahores qui n'ont pas de site internet, qui ne brassent pas des centaines de milliers d'€uros, mais qui ont un ancrage local monstre et qui sont salués et reconnus par Maore et sa population. Des acteurs de conviction et militant pour le développement durable de leur territoire sans rien attendre en retour en matière de reconnaissance médiatique, d’un tel ou un tel. C’est ça l’esprit et l’engagement FMAE : des convictions d’intérêt général avant tout.

Vous comprenez qu'ici nous agissons, parlons des 17 Objectifs de Développement Durable et non d’affichage ostentatoire.

La FMAE est la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales. Prenez les deux premiers mots.

Fédération Mahoraise : Ce qui nous unit ici c'est Maore. Ce qui nous préoccupe ici et nous anime, c’est maore, sa population, sa biodiversité et son développement durable, sa bioculture.

 

Vous engagez des actions en justice contre des pollueurs et des agresseurs de la nature à Mayotte. Est-ce que vous avez déjà gagné un procès ? Et pourquoi ?

 

Nous engageons ce genre d'actions. Paraît-il que les actes de justice ne se commentent pas.

En revanche, j'affirme que dans beaucoup de services de l'état, il y a beaucoup de personnes engagées et de très bonne volonté, mais il y a aussi des touristes, des ronfleurs, des complices volontaires ou de complaisance qui paralysent l’action publique, notamment sa mission première de régalien.

Et comme, nos collectivités territoriales, aussi bien nos communes, nos intercommunalités et notre Département/Région ne sont équipés pas pour tout ce qui est police de l’environnement de l’urbanisme, c’est l’anarchie totale.

Quelle institution locale a une police de l'urbanisme et/ou une police de l'environnement ?

Comment, des aménagements publics et/ou privés obtiennent-ils des permis ? Qui contrôle et suit ces autorisations sur le terrain ?

 

Ali Madi, vous avez été reçu, en aparté par la conseillère du ministère des outremer en matière d’environnement. De quoi avez-vous parlé et est-ce que vous l’impression d’avoir été entendu ?

Triste, mais il faut bien commencer quelque part.

En préambule, nous avons rappelé à la Conseillère du ministère, qu'il serait judicieux que le ministre et leurs délégations parlent et écoutent les mahorais ; qu'il est contreproductif pour la cause environnementale et les associations concernées qu'à chaque visite ministérielle, la cause environnementale se réduise à ces deux mêmes associations et le même sujet.

En effet, madame Sibeth Ndiaye, alors porte-parole du Gouvernement est venue à Mayotte à la même plage, a rencontré les mêmes associations, a parlé des tortues. Pourtant, les forêts de Mayotte sont saccagées comme en Guyane. Pourtant, les eaux usées sont déversées dans les rivières notamment à Combani. Pourtant Mayotte manque d'eau potable comme la Guadeloupe. Pourtant les déchets ne sont pas valorisés en produits et des décharges à ciel ouvert pullulent même en plein centre de certaines villes. Pourtant des initiatives Mahoraises remarquables, à afficher partout sont menées sur l'ensemble du territoire mahorais et des acteurs mahorais comme ceux cités plus haut.

Pourtant la FMAE n'arrête pas d'écrire au préfet de Mayotte et l'a même rencontré sur ces sujets. On lui a expliqué la nécessité d'intégrer l'ensemble des acteurs et associations Mahoraises dont la FMAE dans le protocole. Cependant, malgré l'engagement du préfet, force est de constater que les mêmes habitudes et pratiques consistant à écarter la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales continuent à se perpétuer. Un mépris total de tous ces acteurs, la soixantaine d’associations sympathisantes et la trentaine adhérentes de forces vives du territoire que nous représentons.

Sinon la réunion a été très courte, à pied levé de 30 minutes juste avant de prendre l’avion, mais très courtoise.

Nous lui avons fait des propositions concernant les urgences, à savoir.

  • S'il y a envasement du lagon, il est urgent de mener l'enquête pour connaître la provenance de cette terre. On pense notamment à tous ces chantiers d’envergure mené en dépit de la réglementation et du bon sens écologique (terrassement en plein saison des pluies)
  • Si la terre vient de la déforestation, mener des actions de vulgarisation et régalienne pour responsabiliser ceux qui le font.
  • Si la terre vient des pistes agricoles, accompagner les agriculteurs pour accéder à leurs parcelles avec des pistes qui respectent les règles de l’art. Et pour les pistes sauvages, mener des actions régaliennes qui s’imposent.
  • Si la terre vient des aménagements privés comme des maisons dans des rivières, faire appliquer la réglementation, accompagner ceux qui peuvent l'être et sanctionner ceux qui doivent l’être.
  • Si la terre vient des aménagements publics comme les routes, terrains sportifs, HLM, agir en exemple et mettre en œuvre les mesures ERC ;

En tout état de cause, on ne peut pas continuer à crier perpétuellement contre l'envasement du Lagon et ne pas déployer les mesures nécessaires pour lutter contre.

Nous avons échangé à propos de la problématique de l’eau et lui avons proposé la création d'une Office de l'eau à Mayotte, seul territoire à ne pas disposer ce genre d’outil d’animation et de la déclinaison de la politique de l’eau ; à l'instar des autres territoires d'outre-mer et de la France hexagonale qui ont carrément des agences de l'eau. Elle a pris note de cette proposition et nous a demandé des précisions. Précisions que nous lui avons donné avec les arguments nécessaires. Nous lui avons précisé que les services de l’Etat ont toujours déployé leur énergie pour empêcher Mayotte de disposer de cet outil indispensable laissant des missions orphelines en matière de gestion de l’eau, au lieu de trouver des solutions adaptées au territoire. C’est aussi ce genre de vérité qui fait que nous sommes systématiquement empêchés de rencontrer les autorités de l’administration centrale en visite ici.

Nous lui avons parlé du Volcan, de Mayotte qui s'enfonce, et des enjeux de développement durable. A ce propos, nous lui avons proposé la création d'un observatoire de l'environnement qui inclurait un volet climat, un volet suivi du littoral et du trait de côte, un volet eau, un volet biodiversité, un volet forêt. Elle nous a parue surprise et enchantée par cette proposition.  Aussi, les échanges se sont focalisés en grande partie sur cet observatoire. Elle nous a questionnés sur les thématiques, le mode de gouvernance, … Nous avons tenu à la rassurer sur nos intentions, à ne pas nous substituer aux institutions publiques. Nous sommes ici pour faire des propositions, accompagner la politique publique dans sa conception et dans son déploiement.

 

Enfin, l’environnement est devenu un enjeu majeur de la politique en France. Comment cela se traduit à Mayotte ? Est-ce que vous avez vu du changement dans les politiques publiques, en matière d’aménagement par exemple ?

En toute sincérité, en termes d’action, Mayotte est administrée à part, en dehors des politiques françaises, au gré des fonctionnaires et missionnaires de passage qui la considère soit comme une salle d’attente ou un tremplin pour leur carrière. Ainsi va Mayotte.