Parmi ces pratiques, le debaa, est celle qui exprime au mieux la richesse de ces métissages et qui bénéficie aujourd'hui d’une
reconnaissance particulière grâce à la mise en place d’une politique culturelle spécifique par les institutions locales (Conseil Général, Préfecture, Mairies).
Le debaa, devenu emblème de la culture mahoraise, est pratiqué uniquement par les femmes de toutes générations. Il s’agit de chants psalmodiés en langue arabe, composés à partir de qasîda (poèmes mystiques) louant les événements les plus importants de la vie du prophète Mahomet ou abordant l'amour et les valeurs éthiques chères aux soufis.
Un art qui allie la dévotion à une recherche créative permanente
Disposées en ligne, les femmes exécutent à l'unisson une chorégraphie lente et élaborée qui mobilise principalement le buste et les bras et met en valeur leurs qualités les plus appréciées, telles que la grâce, la retenue, ainsi que l'adab - le savoir-vivre, et le ustaarabu - les belles manières. Leurs tenues sont très recherchées et soignées.
Le debaa est pratiqué à l’occasion de mariages, de commémorations ou de fêtes de village. Avec ces chants dansés les femmes accompagnent les pélerins lors des départs pour La Mecque et les accueillent à leur retour. Elles s'y adonnent aussi à l'occasion d’autres événements du calendrier musulman comme l’Aïd El-Fitr (la célébration de la fin du Ramadan).
Cependant, la principale réalisation du debaa a lieu dans le cadre de rencontres entre groupes de différents villages tout au long de l’année. Ces rendez-vous offrent aux praticiennes l’occasion de s’affronter pour s'imposer comme les meilleures artistes de ce répertoire.
Ces rencontres se transforment alors en véritables compétitions féminines où l'art de paraître joue un rôle fondamental. Par le debaa, elles expriment leur vision de la femme mahoraise et de la bonne musulmane. Bien danser et bien chanter leur permet de représenter l’image de la mère, de la femme et de l'épouse idéales.
Un documentaire 100% féminin
Être entre femmes, nous a permis d’entrer en douceur dans le monde féminin du debaa et d’accéder plus facilement à des aspects moins évidents de cette société.
A Mayotte, les femmes assument des rôles traditionnellement distincts de ceux des hommes, de par les coutumes et les croyances ancrées dans la culture musulmane. Se retrouver entre femmes nous a permis de développer plus facilement un sentiment de complicité et de solidarité. Nous avons pu échanger sans tabou sur différents sujets féminins et assister à des moments plus intimes comme les séances de maquillage ou d’essayage des costumes.
Ce film se veut un film en immersion, une présence qui accompagne discrètement ces femmes, qui les suit dans leur quotidien et dans leur rapport entre elles-mêmes, dans leur intimité avec respect et confiance. La place que nous occuppns comme filmeurs, est acilitée par le fait que nous avons passé beaucoup de temps avec ces femmes.
Pendant le tournage, nous habitions chez elles et nous nous adaptons à leurs horaires. La caméra est un élément du décor au même titre que la télévision dans le salon. Lorsque Mamanourou se lève pour prier à 5h du matin, nous sommes avec elle. Quand les filles franchissent la porte pour raconter leurs journées et commencer les répétitions, nous sommes toujours là, témoins directs des événements de leur quotidien.