Hospitalisation à domicile

Plus besoin de se rendre à l’hôpital, c’est l’hôpital qui vient à vous. Avec plus de 9000 naissances annuelles, le service obstétrique du CHM de Mamoudzou est saturé. Afin de libérer des lits, l’HAD, Hospitalisation à Domicile en obstétrique à vue le jour il y a un mois.

Sac au dos, vêtues de l’uniforme blanc du CHM, Manon, Maïmounati et Soua empruntent les pistes de terre, franchissent les cours d’eau et empruntent des escaliers fait de pneus … tout ça, pour arriver chez leur patiente. Celle-ci habite sur les hauteurs de Kawéni dans l’une des habitations faite de tôle.

“Pour aller chez certain patient, l’accès est difficile. On est obligé de garer la voiture un peu plus loin et faire le reste du trajet à pied. Certains logements sont très reculés donc c’est difficile pour ces patients d’avoir accès aux soins d’où l’importance de cette hospitalisation à domicile. “ Manon Petit-Jean sage-femme de terrain.

L'accès à certaines patientes est parfois compliqué

Trousse à pharmacie, matériel de perfusion et monitoring dans le sac à dos. Le trio arrive chez la patiente au terme d’une petite marche sous une chaleur étouffante. “Il n’y a pas que le physique. Si on est bien mentalement et psychologiquement, on peut tout faire “ positive Maïmounati Ali Djoumoi aide-soignante. Dans la case en tôle chauffée par les rayons du soleil, la température semble encore plus élevée. Mais pas de répit pour l’équipe qui est venue prodiguée des soins à domicile. Il faut installer le matériel et procéder à l’examen de la patiente. “Pour la surveillance, on a besoin d’un monitoring pour enregistrer le cœur de l’enfant, explique Manon, la sage-femme. On prend les paramètres à chaque consultation, tensiomètre et thermomètre. On a tout le matériel nécessaire pour réaliser des bilans, poser éventuellement des perfusions. On a une petite dotation de pharmacie pour des médicaments d’urgence s’il y a besoin. Le plus important étant le monitoring pour surveiller l’enfant“.

Le binôme est rodé, après un mois de pratique, la sage-femme et l’aide-soignante ont développé des automatismes, chacune sait ce qu’elle a à faire. “Il y a une vraie complicité dans notre binôme. On travaille vraiment ensemble. Pendant que l’une installe le matériel, prends les paramètres l’autre consulte les anciennes consultations. On travaille vraiment en complémentarité moi ça me semble indispensable “ explique Manon, la sage-femme.

C'est dans le salon de la patiente qu'à lieu l'examen.

Travailler en binôme est essentiel. La plupart des patientes ne comprenant pas le français, c’est l’aide-soignante qui sert d’interprète. “Et c’est aussi une question de sécurité, complète Manon Petit-Jean.Nous allons quand même dans des endroits reculés et ça a vraiment été discuté de savoir si en tant que sage-femme seule, on pouvait y aller. Donc on a décidé qu’on irait à deux. “

Jusqu’à présent, la présence du duo est acceptée. “On est très bien accueilli dans les zones sensibles. Ils savent que nous sommes habillés en blanc. Lorsque nous avons nos tenues ils savent que nous venons pour aider les femmes enceintes“ confie Maïmounati.

Les premières patientes ont bénéficié de l’hospitalisation à domicile à partir du 15 février. “Ce projet est né à l’initiative du CHM face aux hospitalisations qui étaient de plus en plus nombreuses. Ils ont fait appel à l’association « Action Santé Femmes » pour mettre en place ce service d’hospitalisation obstétricale à domicile “ explique Manon Petit- Jean. Leur périmètre d’action, le grand Mamoudzou de Koungou à Tsoundzou et jusqu’à Vahibé.

L’objectif de l’HAD obstétrical, l’hospitalisation à domicile est de désengorger le service de grossesses pathologiques qui est la plupart du temps saturé. Il y a parfois jusqu’à 2 à 3 patientes dans les chambres. Pour soulager le service, l’HAD prend en charge les patientes stabilisées mais qui nécessitent malgré tout une surveillance. Elle offre aux patientes la possibilité d’être suivi à la maison. “La patiente étant considéré qu’elle est hospitalisée, elle est complétement prise en charge par l’hôpital. Donc, tout ce qui est médicament, va être délivré par la pharmacie de ville. Mais on va s’occuper de l’acheminement de la pharmacie au domicile de la patiente. Tous les rendez-vous externe qu’elle va prendre seront assurés par une ambulance. C’est vraiment comme si la dame elle était hospitalisée au CHM sauf qu’elle est chez elle. “ précise Manon, la sage-femme de terrain.

“Notre simple présence chez eux les aide. Evoquer les soucis du quotidien, ça leur fait du bien de simplement en parler. “

Maïmounati Ali Djoumoi, aide-soignante

Dans la petite pièce, la patiente a installé une couche de fortune. Elle s’y allonge pour une prise de température, un relevé de tension. Ensuite, Manon, la sage-femme contrôle le rythme cardiaque fœtal à l’aide du monitoring. “Si tout va bien on repart. S’il y a un ralentissement ou un souci au niveau du monitoring, c’est vrai qu’il faut réagir assez rapidement. A ce moment-là, on demande un avis médical et fonction de l’urgence on est à même de savoir si on appel le 15 pour un transfère très rapide ou si on peut se permettre de faire déplacer une ambulance privée. “

Une prévenance que la patiente du jour apprécie. “C’est une très bonne chose que je n’ai pas à me rendre jusqu’à la maternité pour mon suivi. Avoir la sage-femme à domicile me facilite la vie et ça m’évite de me faire contrôler par la police sur la route. “

“L’humain prend toute sa place et ça on le perd à l’hôpital par défaut de temps ; mais pas par défaut de volonté, et ça c’est hyper appréciable. “

Manon Petit-Jean sage-femme de terrain.

Quel changement dans l’activité ?

Faire des hospitalisations à domicile, une situation d’inconfort pour les soignants. Paradoxalement, ce dépaysement est captivant. “ Ne pas être dans un service ou ça devient vite monotone c’est plaisant. Différentes choses arrivent dans un service mais une routine finit quand même par s’installer. Ici, chaque jour est différent. Et puis c’est plaisant d’être à l’air libre et de ne pas voir les 4 murs de l’hôpital “glisse Maïmounati dans un sourire. Un plaisir qu’elle goute après avoir exercé 2 ans et demi au CHM au service de soins palliatifs.

“D’habitude, complète Manon la sage-femme, on est dans notre confort à l’hôpital, on sait qu’on a les médecins, le bloc opératoire juste à côté. Et c’est intéressant de voir que l’on ne réagit pas de la même manière face à une anomalie de rythme ou face à un signe clinique que l’on juge urgent parce qu’on sait qu’on est à la maison et qu’on est reculé et qu’il y aura un délai de prise en charge avant l’arrivé à l’hôpital“.  

L’anticipation est l’un des changements significatif pour le duo qui fait des hospitalisations à domicile. “C’est une charge mentale assez importante parce qu’il faut gérer tout l’organisationnel en plus du soin alors que lorsque l’on est en hôpital, on a juste notre soin à gérer. Mais ce qui est très avantageux, c’est que lorsqu’on est à domicile, on est à domicile avec la dame et on est entièrement disponible pour elle. On n’a pas de bips qui sonnent sans arrêt, des collègues ou d’une patiente dans telle chambre qui nous appelle. Et ça, c’est un confort incroyable et ça permet un relationnel vraiment particulier et il y a des liens qui se tissent “s’enthousiasme Manon.

Un côté relationnel que Maïmouna apprécie elle aussi. “Dans un service, on n’a pas le temps d’échanger beaucoup avec les patientes alors que là on a le temps de discuter, d’échanger véritablement“. 

Dans la pièce, les battements du cœur de l’enfant sonnent fort et régulièrement. Après 20 minutes de contrôle, l’équipe s’en va rassurée. Avant de se rendre chez une nouvelle patiente, le duo exceptionnellement accompagné aujourd’hui de Soua, élève infirmière en 3éme année fait une halte au local pour se réapprovisionner en matériels. Elles y croisent Alexandra Renault, sage- femme coordinatrice de l’Hospitalisation à domicile. C’est l’une des 3 sages-femmes recrutée par l’association « Action Santé Femme » pour mener le projet d’hospitalisation à domicile.

En milieu de matinée, l'équipe de terrain rentre au local pour se réapprovisionner en matériel

Alexandra gère les admissions, la régulation, les prises de rendez-vous et les transports entre autres. “On inclut des patientes qui sont déjà hospitalisée en hôpital et qui sont dans le service de grossesse pathologique. C’est le médecin qui fait la demande. C’est lui qui voit si la patiente est éligible à l’hospitalisation à domicile ou pas. “ Menaces d’accouchement prématurée, diabète, rupture prématurée des membranes, hypertensions, retard de croissance utérins sont les pathologies d’inclusion, elles permettent une hospitalisation à domicile pour ces femmes enceintes.

Ce matin-là, une 8eme patiente intègre l’HAD. Elle quitte le CHM pour une hospitalisation à domicile. “ Cette sortie se fait en ambulance. C’est dans la continuité des soins. La patiente est sous notre responsabilité vu qu’elle est hospitalisée donc tous les transports doivent être faits par des véhicules conventionnés “explique  Manon Petit-Jean.

Arrivée chez la nouvelle patiente, Manon et Maïmounati transforme le salon en salle d'examen

Arrivée à M’tsapéré, le même rituel prend place. Le salon de la patiente se transforme en salle de consultation. Un matelas est transporté depuis la chambre. Pendant que Manon aide à l’installation du lit, Maïmounati installe le monitoring. “Ça va depuis la dernière fois ? “ demande Manon à Aïda, la patiente. Maïmounati traduit pour la patiente qui ne parle pas français. La jeune femme dont le bébé présente un retard de développement entame la fin de son 7eme mois de grossesse.

 Pendant que les battements du cœur du bébé emplissent la pièce, Manon rempli le diagramme de soin. Ce diagramme s’inspire de celui présent dans le service des grossesses pathologiques. “Toute l’anamnèse, l’examen clinique, va être retranscrit dans le dossier. Toutes les données sont transmises au CHM pour permettre aux médecins et aux sages-femmes hospitalières d’avoir accès aux consultations sur logiciel."

Pendant le monitoring, Manon la sage-femme complète le dossier de la patiente

Ainsi, une fois par semaine, les dossiers des patientes sont examinés avec le médecin de l’HAD.  De plus,les modalités de surveillance sont réévaluées lors d’une consultation si l’équipe de terrain juge qu’il faut espacer les surveillances ou au contraire, les rapprocher s’il y a des signes évocateurs.  

L’enregistrement fœtal suit son cours sur le monitoring. Il doit durer 20 minutes au minimum au niveau médico légale. “ Au-dessous de 20 minutes on peut pas se rendre compte véritablement de la vitalité du bébé. Sur un rythme parfait on pourra le retirer au bout de 20 minutes mais autrement on le prolonge. Un cas qui s’est déjà présenté chez Aïda, cette patiente de M’tsapéré. “Ça nous est arrivé de rester plus d’une heure. Avec un bébé qu’on avait du mal à capter. Il bougeait énormément donc on avait beaucoup de perte de signal et un enregistrement discontinu donc on ne pouvait pas se permettre de partir comme ça donc on a prolongé un petit peu“ se souvient la sage-femme.

Des aléas qui rythment les journées de la sage-femme et de l’aide-soignante. Ces dernières n’ont ainsi pas de journée type. “Le matin on fait le point mais des fois notre programme peut être complètement chamboulé. Il suffit qu’une consultation qui était censée durer 10 minutes s’éternise parce qu’il y a un souci, ça remanie tout. Il faut penser que rien n’est vraiment programmé en fait ça peut toujours changer selon les urgences et l’activité. “

“Elles sont physiquement chez elles, mais dans la prise en charge, c’est comme si elles étaient à l’hôpital. A l’hôpital, il y a les sonnettes au pied des lits pour appeler la sage-femme du service, les dames à domicile elles ont notre numéro de téléphone. Il y a vraiment une continuité des soins, il n’y a jamais de rupture, elles sont prises en charge 24h/24h.“

Manon Petit- Jean sage-femme de terrain.

Pas d’astreinte à l’HAD obstétricale de Mayotte en raison de l’insécurité. La journée de travail s’étend de 7 heure à 17 heures. Mais les patientes ne sont pas livrées à elles même. “Elles ont un classeur qui reste à domicile avec une fiche de tous les numéros et les horaires correspondant si les patientes avaient un souci qui nécessiterait un avis médical “ explique Maïmounati

“C’est beaucoup d’éducation, le domicile, rajoute Manon. On leur explique les signes d’alerte qui doivent être renseignés à la sage-femme ou au médecin le plus rapidement possible. Les dames, elles appellent en général très rarement pour rien. Quand elles appellent, c’est qu’il y a un souci particulier. “

Après la tournée auprès des patientes, viendra un long travail de retranscription. “Il faudra scanner les rythmes pour les intégrer dans le dossier, vérifier les ordonnances, les mettre à jour, les faxer à la pharmacie. Le travail de bureau pour organiser la tournée, prévoir les prochaines visites, prendre les rendez-vous, récupérer les résultats des bilans qu’on a piqué… d’extérieur ça peut sembler peu de voir que 3 à 4 clientes par jour mais en réalité faire plus, ça serait vraiment difficile. Parce qu’il y a tous les à coté qui prennent du temps “conclut Manon.  

Ce projet d’hospitalisation à domicile obstétrique initié en accord avec l’ARS est en phase de mise en place. L’idée serait de pérenniser la structure et de l’étende sur toute l’ile…