A Anjouan, tout le monde connait la maison peinte en vert à l’entrée de la capitale de l’île Mutsamudu. Le rez-de-chaussée est un magasin où Ahmed Abdallah Sambi vendait des matelas-mousse. Son salon à l’étage recevait les notables, venus boire le thé… et les paroles du prédicateur.
Dans les années 1990, de retour des universités islamiques du Moyen-Orient, Ahmed Abdallah Sambi s’est forgé une solide réputation d’homme de foi.
« Il parlait très bien » se souvient un fidèle parmi ceux qui accouraient à la mosquée de Mutsamudu chaque vendredi. On l’invitait dans les mariages. Les cassettes audio des prêches de Sambi circulaient dans les villages de tout l’archipel. La foi, l’amour, la famille, la justice et la dénonciation de la corruption étaient ses thèmes de prédilection.
Pour l’entrée en politique il n’y avait qu’un pas, franchi lors de la campagne présidentielle de 2006.
Une élection triomphale pour « Ayatollah »
Ahmed Abdallah Sambi est un ovni dans le paysage politico-religieux comorien. Formé chez les sunnites d’Arabie Saoudite et du Soudan, puis dans la grande université chiite de Qom en Iran, il représente un rare syncrétisme entre les deux courants rivaux de l’Islam. Avec sa barbe blanche et son turban, il a gagné le surnom « Ayatollah ». Sa campagne électorale a été une marche triomphale.
Jamais les meetings politiques n’avaient rassemblé autant de monde aux Comores. Chacun se souvient de son rassemblement à Moroni sur la place Ajao à l’avant-veille de l’élection du 14 mai 2006. La foule était allée l’accueillir à l’aéroport à son arrivée d’Anjouan. Un immense cortège l’avait accompagné à pied sur 15 kilomètres.
Sambi sera élu avec 58% des voix. Le président sortant Azali Assoumani ne pouvait pas se représenter, car c’était le tour d’Anjouan dans la « tournante » alors en vigueur dans l’Archipel.
« Le régime islamique est le meilleur des régimes »
Qualifié « d’islamiste modéré » par les agences de presse, Ahmed Abdallah Sambi affole les chancelleries occidentales - surtout l’ambassadeur de France Christian Job - dès le lendemain de sa victoire avec des propos à l’emporte-pièce :
Vous en Europe n’êtes pas heureux avec vos parlements. Le régime islamique est le meilleur des régimes… un jour vous verrez, le drapeau de l’Islam flottera sur l’Europe
(Interview sur RFI le 16 mai 2006)
Cette rhétorique maladroite n’aura cependant pas de conséquence dans sa pratique du pouvoir. On a certes vu s’installer des écoles et des dispensaires tenus par des missionnaires iraniens. Ils n’ont rien amélioré de l’état de délabrement du système de santé publique et d’éducation. Sambi a promis des maisons en dur pour tous les Comoriens, dont ils ne verront jamais la première brique. Il a annoncé des projets pharaoniques d’infrastructures qui sont restés des « éléphants blancs ».
La « citoyenneté économique » au cœur du procès
Pour financer tout cela, le parlement comorien vote en 2008 le programme de « citoyenneté économique », toujours en vigueur, consistant à vendre des passeports comoriens aux riches bédouins apatrides du Golfe Persique. Ce programme aurait donné lieu à une affaire de corruption selon un rapport parlementaire. Il est au cœur de la poursuite judiciaire aujourd’hui. La justice s’intéresse en particulier aux liens de l’ancien président avec l’homme d’affaires franco-syrien Bachar Kiwan, mandaté par les Emirats Arabes Unis pour piloter ce dispositif.
Quand le mandat de Sambi s’achève en 2011, le rêve continue. Rien n’est réalisé mais personne ne semble en tenir rigueur à « l’Ayatollah ». Quand vient le tour de l’île de Mohéli, le pharmacien Ikililou Dhoinine accède à la présidence avec le soutien de Sambi.
En 2016, c’est encore Sambi qui soutient le retour du grand comorien Azali Assoumani au palais de Beit Salaam. Pendant cette période, Ahmed Abdallah Sambi obtiendra, en toute discrétion, la nationalité française pour lui-même et sa famille.
Azali hué devant la mosquée
Deux ans plus tard, les choses se gâtent quand Azali Assoumani décide de freiner la présidence tournante par une nouvelle constitution doublant la durée de son mandat, et de supprimer la Cour Constitutionnelle d’un trait de plume, Sambi se fâche. Il revient aux Comores après six mois de séjour à l’étranger.
Les deux hommes se croiseront un vendredi soir de mai 2018 dans la grande mosquée de Moroni. Azali y sera hué par les partisans de Sambi.
Depuis lors, les ennuis de l’ « Ayatollah » commencent. Il est inculpé de « détournement », de « blanchiment » puis de « haute trahison ». Malade, Sambi sera placé en détention dans sa maison de Moroni, officiellement transformée en « annexe de la prison ».