Les Archives départementales de Mayotte viennent de publier un dossier intitulé "L'école à Mayotte du XIXème siècle à nos jours". Un travail remarquable. Le fruit de la collaboration entre un professeur agrégé d'histoire-géographie et la Directrice des Archives départementales de Mayotte.
La mémoire constitue le trésor des archives. Dans le tourbillon des informations -sans cesse grandissant avec l'énorme puissance du numérique- le citoyen perd pied.
Comme tombé dans le fleuve tumultueux de l'information, il se débat, tente de surnager... mais a du mal à trouver un point fixe où s'arrimer. Pour le temps de la réflexion.
Ce travail des Archives départementales de Mayotte a ceci de remarquable qu'il permet de s'arrêter au point fixe de la mémoire.
Une mémoire est un "ancrage". Elle aide à s'extraire des remous du quotidien. A analyser. A devenir un citoyen.
Plonger dans le passé
Le dossier "L'école à Mayotte du XIXème siècle à nos jours" s'insère dans cette démarche. Apporter des "outils" intellectuels du passé -à travers des documents, des témoignages- pour mieux saisir le présent.
Force est de constater que si la situation actuelle est bien loin d'être idéale... le pays revient de loin. De très loin.
Au XIXème siècle les grandes nations européennes avaient accéléré leur course à la conquête de territoires dans le monde entier. Un objectif : régner sur un "empire colonial" le plus vaste possible.
Atout stratégique. Intérêt économique.
Partout, le constat est le même : la "technologie militaire" est puissante et efficace. Souvent face à des peuples encore à l'âge de la pierre, des lances et des arcs.
Dans le Pacifique, il faut relire les récits (in "Les voyages de James Cook". Collection Bouquins) de Cook. Il y raconte -benoîtement...- comment les canons chargés de mitraille venaient à bout de milliers de guerriers.
Aux Amériques l'extermination des tribus indiennes marque aussi la supériorité technologique des Européens.
Le sabre... puis le goupillon
En revanche, la conquête assurée... le développement des pays soumis, l'éducation n'étaient pas au rendez-vous.
Les Etats ont laissé pendant des dizaines d'années le -peu...- d'éducation des "indigènes" -comme ils étaient nommés- aux Eglises.
Réformés ou catholiques. Londres ou Rome. Ce sera le cas dans le Pacifique avec les Maristes pour la France.
Pour l'empire britannique ce rôle sera confié à la célèbre London Missionary Society (LMD) Les uns et les autres se retrouvant fréquemment en conflits ouverts. Les prises de territoires entre colonisateurs se passaient fréquemment "manu militari".
A Mayotte, le rôle des congrégations se révèlera central. Avec un bémol. Alors que dans le Pacifique et dans une grande partie de l'Afrique les populations étaient essentiellement animistes, à Mayotte et dans les Comores l'Islam était implanté depuis des siècles. Supplantant les croyances animistes.
Dans l'un des six cahiers du dossier des Archives, l'historienpublie le courrier d'un religieux.
Le Révérend Père Finaz analyse la situation :"ici, c'est la confusion des races et des langues. Les Arabes de la côte orientale de l'Afruique et les Comoréens, presque tous Mahométans, sont un obstacle à la prédication de l'Evangile."
Les missionnaires ne se découragent pas pour autant.
De document en document les Archives dessinent Mayotte au XIXème siècle. L'Etat-colonial et son administration, les populations, les religions.
Les pères tenteront même dans leurs écoles congréganistes de dispenser un enseignement vidé en bonne partie d'un contenu religieux.
"Faites-vous tout à tous!" (Saint Ignace de Loyola)
En 1857, le Père Galtier analyse dans un rapport "(...) chez les Arabes, l'objet essentiel de l'école est d'apprendre la prière, l'objet accidentel est d'apprendre à lire et à écrire (...) cette notion qu'ils ont de l'école chez eux, plusieurs l'appliquent à l'école des blancs : il faut donc que ce n'est pas pour prier que les enfants vont à l'école de Mamoudzou, mais pour apprendre le français."
Une approche qui fut celle de Jésuites pour conquérir les âmes. Saint Ignace de Loyola conseillait à ses missionnaires : "faites-vous tout à tous!" Cette "technique du caméléon" coûtera cher -son interdiction- à l'Ordre jésuite au sein de l'Eglise catholique romaine. S'adapter, c'était trahir la foi chrétienne et son Eglise.
L'enseignement des congrégations -les documents des Archives l'attestent- restent les "piliers" de l'enseignement à Mayotte jusqu'au début du XXème siècle.
L'enseignement "officiel" -laïque- censé "civiliser les races inférieures (dixit Jules Ferry en 1885) restera longtemps marginal. Le nom de ses élèves restera très faible en dépit de tous les efforts.
Pour des raisons culturelles et économiques, le colonisateur ne se donnera que tardivement les moyens d'assurer l'éducation des populations.
Culturelles en raison du décalage entre les cultures, par méfiance aussi. Eduquer n'est-ce pas "donner des armes" au colonisé pour se rebeller un jour contre le colonisateur...
Comme l'écrivait avec son froid cynisme Nietzsche (in "Par-delà le Bien et le Mal") : "pourquoi éduquer des êtres dont on veut qu'ils soient des esclaves?"
Les besoins du fonctionnement de l'administration obligeront l'Etat à faire des efforts. Formations pour des postes subalternes ou formations à des métiers manuels.
Page après page, le lecteur découvre la complexité et les contradictions de ce monde colonial.
Ecoles des congrégations d'un côté, écoles laïques de l'autre. Importance des écoles musulmanes.
Ouvertures de classes, fermetures brusques sinon brutales. Les péripéties sont permanentes... et le nombre des élèves reste réduit.
"A Dzaoudzi (école publique) en 1921 16 élèves (8 européens, 4 métis, 4 malgaches" note un rapport. Et complète "le 1er janvier 1922, 32 élèves, 11 européens, 2 assimilés, 10 métis d'européens et 9 indigènes." Ni écoles publiques ni écoles religieuses, le chiffres le prouvent ne rencontrent beaucoup de succès.
Succès des écoles musulmanes
L'un des cahiers s'intitule "Les écoles musulmanes : des concurrents à l'enseignement officiel".
Les fonctionnaires font un constat clair : "pendant toute la période coloniale, les seules écoles fréquentées par la très grande majorité des enfants de Mayotte sont les écoles musulmanes".
Des écoles nombreuses. "Chaque village possède généralement deux écoles. Une pour le garçons. Une pour les filles."
Les sources documentaires qui proviennent essentiellement de l'administration coloniale compliquent la tâche de l'historien.
En 1907, 399 garçons et 311 filles fréquentent les 99 écoles musulmanes de Mayotte.
Avec une caratéristique a priori surprenante : 31 institutrices enseignent aux côtés des 67 instituteurs. Alors qu'à l'école "officielle" le recrutement des enseignants est difficile, les écoles musulmanes font le plein de personnel.
A Moéli, elles constituent même 75% de l'effectif!
Conclusion du résident du village en 1907 : presque tous savent lire et écrire l'arabe. Leur lecture favorite est le Coran amis ils ne le comprennent pas". Une réflexion à mettre sur le compte de l'amertume devant l'échec de l'enseignement laïque...?
Il faudra attendre la fin de la Deuxième Guerre Mondiale pour que les deux enseignements trouvent un "modus vivendi".
De document en document, des "Elèves comoriens et mahorais à Madagascar au début du XXème siècle" aux "Défis actuels : le système éducatif à la croisée des chemins" en passant pat "L'enseignement à l'époque du Territoire des Comores (1946-1975)" ou "Modernisation et devenir de l'enseignement coranique", le tableau brossé par les Archives est de plus en plus précis. Et passionnant!
Témoignages en conclusion
A ne pas laisser de côté le témoignage "Etre élève entre 1950 et 1970". Un monde proche.. et pourtant déjà très loin d'aujourd'hui.
Je recommande de compléter ce témoignage par celui de l'écrivain Nassur Attoumi (in "Les aventures d'un adolescent mahorais". L'Harmattan).
Il raconte avec sa faconde le quotidien d'un jeune collégien. "Le collège de Dzaoudzi ne compte que quatre classes et sept profs (...) Comme la salle de classe ne possède pas de plafond, la plupart du temps nous rendons nos copies pleines de blancs".
Nul doute, ce dossiers refermé et rangé en première ligne de la bibliothèque, que notre vision d'aujourd'hui de l'Education Nationale aura gagné en richesse. Sinon en indulgence.
Plonger dans la mémoire laisse toujours des marques.
Comme tombé dans le fleuve tumultueux de l'information, il se débat, tente de surnager... mais a du mal à trouver un point fixe où s'arrimer. Pour le temps de la réflexion.
Ce travail des Archives départementales de Mayotte a ceci de remarquable qu'il permet de s'arrêter au point fixe de la mémoire.
Une mémoire est un "ancrage". Elle aide à s'extraire des remous du quotidien. A analyser. A devenir un citoyen.
Plonger dans le passé
Le dossier "L'école à Mayotte du XIXème siècle à nos jours" s'insère dans cette démarche. Apporter des "outils" intellectuels du passé -à travers des documents, des témoignages- pour mieux saisir le présent.
Force est de constater que si la situation actuelle est bien loin d'être idéale... le pays revient de loin. De très loin.
Au XIXème siècle les grandes nations européennes avaient accéléré leur course à la conquête de territoires dans le monde entier. Un objectif : régner sur un "empire colonial" le plus vaste possible.
Atout stratégique. Intérêt économique.
Partout, le constat est le même : la "technologie militaire" est puissante et efficace. Souvent face à des peuples encore à l'âge de la pierre, des lances et des arcs.
Dans le Pacifique, il faut relire les récits (in "Les voyages de James Cook". Collection Bouquins) de Cook. Il y raconte -benoîtement...- comment les canons chargés de mitraille venaient à bout de milliers de guerriers.
Aux Amériques l'extermination des tribus indiennes marque aussi la supériorité technologique des Européens.
Le sabre... puis le goupillon
En revanche, la conquête assurée... le développement des pays soumis, l'éducation n'étaient pas au rendez-vous.
Les Etats ont laissé pendant des dizaines d'années le -peu...- d'éducation des "indigènes" -comme ils étaient nommés- aux Eglises.
Réformés ou catholiques. Londres ou Rome. Ce sera le cas dans le Pacifique avec les Maristes pour la France.
Pour l'empire britannique ce rôle sera confié à la célèbre London Missionary Society (LMD) Les uns et les autres se retrouvant fréquemment en conflits ouverts. Les prises de territoires entre colonisateurs se passaient fréquemment "manu militari".
A Mayotte, le rôle des congrégations se révèlera central. Avec un bémol. Alors que dans le Pacifique et dans une grande partie de l'Afrique les populations étaient essentiellement animistes, à Mayotte et dans les Comores l'Islam était implanté depuis des siècles. Supplantant les croyances animistes.
Dans l'un des six cahiers du dossier des Archives, l'historienpublie le courrier d'un religieux.
Le Révérend Père Finaz analyse la situation :"ici, c'est la confusion des races et des langues. Les Arabes de la côte orientale de l'Afruique et les Comoréens, presque tous Mahométans, sont un obstacle à la prédication de l'Evangile."
Les missionnaires ne se découragent pas pour autant.
De document en document les Archives dessinent Mayotte au XIXème siècle. L'Etat-colonial et son administration, les populations, les religions.
Les pères tenteront même dans leurs écoles congréganistes de dispenser un enseignement vidé en bonne partie d'un contenu religieux.
"Faites-vous tout à tous!" (Saint Ignace de Loyola)
En 1857, le Père Galtier analyse dans un rapport "(...) chez les Arabes, l'objet essentiel de l'école est d'apprendre la prière, l'objet accidentel est d'apprendre à lire et à écrire (...) cette notion qu'ils ont de l'école chez eux, plusieurs l'appliquent à l'école des blancs : il faut donc que ce n'est pas pour prier que les enfants vont à l'école de Mamoudzou, mais pour apprendre le français."
Une approche qui fut celle de Jésuites pour conquérir les âmes. Saint Ignace de Loyola conseillait à ses missionnaires : "faites-vous tout à tous!" Cette "technique du caméléon" coûtera cher -son interdiction- à l'Ordre jésuite au sein de l'Eglise catholique romaine. S'adapter, c'était trahir la foi chrétienne et son Eglise.
L'enseignement des congrégations -les documents des Archives l'attestent- restent les "piliers" de l'enseignement à Mayotte jusqu'au début du XXème siècle.
L'enseignement "officiel" -laïque- censé "civiliser les races inférieures (dixit Jules Ferry en 1885) restera longtemps marginal. Le nom de ses élèves restera très faible en dépit de tous les efforts.
Pour des raisons culturelles et économiques, le colonisateur ne se donnera que tardivement les moyens d'assurer l'éducation des populations.
Culturelles en raison du décalage entre les cultures, par méfiance aussi. Eduquer n'est-ce pas "donner des armes" au colonisé pour se rebeller un jour contre le colonisateur...
Comme l'écrivait avec son froid cynisme Nietzsche (in "Par-delà le Bien et le Mal") : "pourquoi éduquer des êtres dont on veut qu'ils soient des esclaves?"
Les besoins du fonctionnement de l'administration obligeront l'Etat à faire des efforts. Formations pour des postes subalternes ou formations à des métiers manuels.
Page après page, le lecteur découvre la complexité et les contradictions de ce monde colonial.
Ecoles des congrégations d'un côté, écoles laïques de l'autre. Importance des écoles musulmanes.
Ouvertures de classes, fermetures brusques sinon brutales. Les péripéties sont permanentes... et le nombre des élèves reste réduit.
"A Dzaoudzi (école publique) en 1921 16 élèves (8 européens, 4 métis, 4 malgaches" note un rapport. Et complète "le 1er janvier 1922, 32 élèves, 11 européens, 2 assimilés, 10 métis d'européens et 9 indigènes." Ni écoles publiques ni écoles religieuses, le chiffres le prouvent ne rencontrent beaucoup de succès.
Succès des écoles musulmanes
L'un des cahiers s'intitule "Les écoles musulmanes : des concurrents à l'enseignement officiel".
Les fonctionnaires font un constat clair : "pendant toute la période coloniale, les seules écoles fréquentées par la très grande majorité des enfants de Mayotte sont les écoles musulmanes".
Des écoles nombreuses. "Chaque village possède généralement deux écoles. Une pour le garçons. Une pour les filles."
Les sources documentaires qui proviennent essentiellement de l'administration coloniale compliquent la tâche de l'historien.
En 1907, 399 garçons et 311 filles fréquentent les 99 écoles musulmanes de Mayotte.
Avec une caratéristique a priori surprenante : 31 institutrices enseignent aux côtés des 67 instituteurs. Alors qu'à l'école "officielle" le recrutement des enseignants est difficile, les écoles musulmanes font le plein de personnel.
A Moéli, elles constituent même 75% de l'effectif!
Conclusion du résident du village en 1907 : presque tous savent lire et écrire l'arabe. Leur lecture favorite est le Coran amis ils ne le comprennent pas". Une réflexion à mettre sur le compte de l'amertume devant l'échec de l'enseignement laïque...?
Il faudra attendre la fin de la Deuxième Guerre Mondiale pour que les deux enseignements trouvent un "modus vivendi".
De document en document, des "Elèves comoriens et mahorais à Madagascar au début du XXème siècle" aux "Défis actuels : le système éducatif à la croisée des chemins" en passant pat "L'enseignement à l'époque du Territoire des Comores (1946-1975)" ou "Modernisation et devenir de l'enseignement coranique", le tableau brossé par les Archives est de plus en plus précis. Et passionnant!
Témoignages en conclusion
A ne pas laisser de côté le témoignage "Etre élève entre 1950 et 1970". Un monde proche.. et pourtant déjà très loin d'aujourd'hui.
Je recommande de compléter ce témoignage par celui de l'écrivain Nassur Attoumi (in "Les aventures d'un adolescent mahorais". L'Harmattan).
Il raconte avec sa faconde le quotidien d'un jeune collégien. "Le collège de Dzaoudzi ne compte que quatre classes et sept profs (...) Comme la salle de classe ne possède pas de plafond, la plupart du temps nous rendons nos copies pleines de blancs".
Nul doute, ce dossiers refermé et rangé en première ligne de la bibliothèque, que notre vision d'aujourd'hui de l'Education Nationale aura gagné en richesse. Sinon en indulgence.
Plonger dans la mémoire laisse toujours des marques.