.Célébration du centenaire de la guerre 14 - 18 : Voici la 2 ème partie du dossier sur Mayotte pendant la seconde guerre mondiale, produit par Pascal MARSILLOUX, professeur d'Histoire pour le service éducatif des Archives départementales de Mayotte. L'auteur aborde la situation sur le front.
Mahorais,Comoriens et Malgaches sur le front par Pascal MARSILLOUX, professeur d’histoire.
COMME VU dans le chapitre précédent, les Comoriens sont mobilisés dans les régiments et les bataillons de marche et d'opération malgaches et somalis. Le gouvernement français, malgré l' insistance du gouverneur général, souhaite qu'ils soient avant tout employés comme ouvriers. Ainsi, outre les soldats qui faisaient partie du 1er bataillon malgache ou du bataillon de tirailleurs somalis, impliqués dans les grandes batailles, les autres Comoriens ont dû effectuer de nombreuses tâches de soutien au service des armées alliées. Une première catégorie de soldats est donc rattachée aux unités combattantes de marche et d'étape. La seconde catégorie de soldats est désignée par les diverses appellations des travailleurs coloniaux : " commis et ouvriers d'administration ", soldat " en service armé ", combattant ou non combattant. Ces soldats ne sont pas tous intégrés dans les unités mais sont souvent " isolés " par section ou compagnie : l' expression d' "isolés coloniaux " ou de " dépôt des isolés coloniaux " que l' on retrouve dans les fiches des soldats morts pour la France s'explique ainsi ( voir le site Mémoire des hommes mentionné dans la bibliographie et la liste des Comoriens et Mahorais morts pour la France dans le chapitre 7 ).
Officiellement, tous ces soldats sont présentés comme engagés volontaires pour la durée de la guerre ( EVDG ), soit intégrés à une unité combattante sur le front, soit à une unité combattante à l' arrière. A Madagascar existe un statut spécial d' EVDG mis en place en février 1916 : il concerne tous les corps de métier : bûcherons ou cordonniers, qui travaillent dans des zones très éloignées du front, infirmiers des unités combattantes ou non, tirailleurs chargés de tenir les positions sur le front ou d' effectuer la relève.
Le journal de marche et d'opérations du bataillon de tirailleurs somalis nous apprend que les hommes, partis sous le statut de tirailleurs, sont employés à des tâches de réfection des routes ou des chemins ou de chemins de fer ; en conséquence, ils protestent contre le non - respect de la mission guerrière qui leur a été confiée. Les recrues qui partent pour la guerre depuis l' archipel des Comores ou depuis Madagascar ne savent donc pas quel va être leur sort. Mais dans l' esprit du gouverneur et des recruteurs de la colonie de Madagascar, il s'agit de transformer les recrues en travailleurs du front avant tout, quelle que soit leur fonction précise.
Il n' est pas possible de trouver des courriers de tirailleurs comoriens partis à la guerre et de connaître leur état d'esprit. C'est encore la source des journaux de marche et d'opérations qui nous renseigne sur leur ardeur guerrière. Mais c'est une source militaire partielle et partiale. Les suicides ou les désertions mentionnées au chapitre précédent démontrent que les engagements ont été souvent contraints. Le choc de l' arrivée sur le front a dû être d'autant plus important pour ces soldats.De plus, les travaux qui leur sont demandés peuvent les amener à établir une comparaison avec la corvée ou les prestations qui leur étaient demandées dans leurs îles respectives.
Selon l' expression de Chantal Valensky, " la guerre est d'abord une prestation gigantesque assortie d'un sort obscur ".
Les photographies de' la collection Comessy, conservées aux Archives départementales de l' Oise, nous montrent les soldats des régiments malgaches en contact avec la population villageoise, alors qu'ils sont affectés à la garde des dirigeables. Des enfants apparaissent sur les photos à leur côté. Des soldats européens de leurs unités sont aussi à leurs côtés.
Mais qu'en est-il d'un bataillon entièrement composé de musulmans comme celui des Somalis ?
Les photos conservées par la Médiathèque de l' Architecture et du patrimoine nous les montrent coupés du reste de la population dans le camp de Fréjus. Il est probable que se soient retissés des liens communautaires forts et que soit apparue une réelle solidarité, ceci pouvant expliquer la bravoure de certains dans les combats de Douaumont, par exemple. Ce phénomène a dû être d'autant plus fort que le milieu était hostile (froid) et l' avenir obscur. Les liens tissés aux armées suppléent à l' éloignement du village d'origine ou de la famille. Par ailleurs, il est à signaler que les autorités françaises faisaient procéder à un enterrement selon les coutumes musulmanes quand le corps d'un soldat somali ou de religion musulmane était retrouvé pour être enterré.
Les listes d'anciens combattants trouvées aux Archives départementales de Mayotte permettent de savoir dans quels bataillons ont été intégrés les soldats de l' archipel des Comores. Il serait vain de vouloir raconter toutes l"es péripéties arrivées aux bataillons malgaches et notées dans les journaux de marche et d'opérations, qui dépassent parfois la centaine de pages.Les lecteurs passionnés se reporteront au site Mémoire des hommes pour prendre connaissance de ces espèces de " cahiers de texte " des opérations militaires. Mais quelques passages choisis peuvent nous aider à comprendre l' expérience de la guerre vécue par les tirailleurs locaux (voir les récits de batailles dans les feuillets du dossier : Mayotte et sa région dans la grande guerre, une production du service éducatif des Archives départementales de Mayotte.