Mayotte : Témoignage poignant d’un enseignant agressé par des individus armés de couteaux.

Après un weekend marqué d'agressions par des barreurs de route ayant notamment arraché sa  voiture à un couple, un enseignant s’est fait attaquer lundi matin 16 janvier 2017 à Musical Plage à Bandrelé au sud de l’île. 

Voici le récit des événements que nous a fait  l' enseignant agressé. Par sécurité pour lui, nous ne donnons ni son nom,
ni l' indication de l' école où il travaille.

INTERVIEW : EMMANUEL TUSEVO DIASAMVU : - Comment se sont déroulés les faits ?

REPONSE DE L’ ENSEIGNANT AGRESSE : - Aujourd’hui, à 6 heures du matin,  au niveau de Musical Plage à Bandrele, 2 personnes armées de  couteaux m’ont agressé par derrière. Je faisais du stop, ils ont essayé de me tirer par derrière sur le bas- côté, je pense,  pour me soutirer de l’argent, en tout cas, c’est ce qu’ils me demandaient, moi je me suis dégagé. C’est ce qui m’a permis de garder de la distance entre moi et eux et leurs armes. Je me suis mis à crier pour essayer d’alerter le voisinage. J’ai fait des signaux à quelques voitures qui passaient. Une voiture s’est arrêtée et les deux agresseurs se sont dirigés vers elle avec leurs  couteaux. La voiture est repartie. J’en ai profité pour alerter le voisinage. Au final, un voisin est sorti et m’a aidé à les pourchasser et à les mettre en fuite. Je pense avoir eu beaucoup de chance parce qu’ils auraient pu très bien ne pas me laisser le temps de réagir en arrivant par derrière surtout qu’il s’avérerait qu’ils étaient plus de deux. Ils avaient leurs complices qui les attendaient  dans une voiture un peu plus loin sur la route. Ca restera à vérifier.

QUESTION : -Est ce que c’est la première fois que vous vivez ce genre de situation à Mayotte ?

REPONSE : C’est la première fois que je me fais agresser physiquement à Mayotte ou ailleurs d’ailleurs.

QUESTION : Vous avez eu peur ?

REPONSE : Je pense qu’on peut dire qu’après l’incident, il y a une peur et on se rend compte de ce à quoi on a échappé.

QUESTION : Est-ce que vous pensez que ce sont des coupeurs des routes qui s’attaquent aux gens ?

REPONSE : Au départ, je n’ai pas du tout pensé à ça parce que c’était deux  jeunes à pied mais quand j’ai appris qu’ils avaient une voiture et qu’au final, cette voiture était sans doute recherchée parce qu’elle aurait été volée  dans une agression en début de weekend, je laisse la police tirer des conclusions, mais il y a des chances qu’il y ait un lien.

NOTE DE LA REDACTION : La préfecture que nous avons contacté après cet entretien nous a indiqué que " la victime n' a pas souhaité porté plainte mais une enquête est en cours et il n' est pour l' heure pas possible de faire un lien avec les coupeurs de route."

QUESTION : Est-ce que vous êtes prêt à refaire du stop ?

REPONSE : C’est peut être un peu tôt pour complètement répondre. La question, elle est là, est-ce qu’on est prêt à continuer à travailler à Mayotte ?
Des fois, on n’a pas le choix. Est-ce qu’on a le choix de continuer à faire du stop puisque c’est mon moyen de locomotion, stop et taxi. Je pense que je prendrai plus vite le taxi que d’ habitude. Après, comme m’a fait remarquer une collègue, ma chance est que je ne sois pas monté dans leur voiture. Ils ne se sont pas arrêtés pour me le proposer, ça aurait pu être beaucoup plus grave  s’ils m’avaient proposé de monter dans leur voiture et là, je n’aurais pas pu me défendre ni quoi que ce soit.
En général, à Bandrelé, la communauté est plutôt soudée, on n’a jamais eu des  débordements comme on peut entendre sur Mamoudzou ou Tsoundzou, etc.… Vu que moi je fais le trajet quotidiennement du sud au centre, les coupeurs des routes, c’est un sujet qui nous préoccupait. Moi je fais partie d’un groupe de musique. On a dû annuler beaucoup de concerts suite à cette saison des coupeurs de routes. Les gens ne sortaient plus. Nous, on ne voulait pas se faire agresser sur les routes, je pense qu’on avait oublié qu’ils étaient là ou on pensait qu’on avait fini par les attraper. Finalement, il y a peu d’informations  qui circulent.


Il se trouve qu’on n’est pas à l’ abri nulle part et ça peut frapper à tout moment. Moi, j’estime avoir eu beaucoup de chance. Je ne sais pas comment ça se serait passé s’il y avait une femme sans une  personne qui puisse intervenir à côté ou s’ils avaient été plus nombreux ou plus agressifs peut être.














QUESTION : Est-ce que vous sentiez qu’ils avaient une agressivité, une détermination ?

REPONSE : Ils avaient le regard qui agresse, il n’y avait pas de sourire mais en même temps, j’estime avoir eu de la chance face à des gens, je ne dirais pas qu’ils n’étaient pas déterminés, ça si, mais j’étais tout seul face à deux personnes armées de couteaux et quand j’y pense, je suis surpris qu’ils aient pris peut être mon parapluie comme une arme dangereuse. Je n’ai pas pu moi tout seul mais à deux personnes, on a pu les mettre en fuite, c’est peut être signe que ca ne soit pas des gens si organisés, si efficients que ça.

QUESTION : Quel âge leur donnez-vous ?

Je dirais une vingtaine d’années. Entre 20 et 30, à priori 20 à 25 ans.Je leur ai dit de partir et qu’ils n’allaient pas  me planter pour 5 euros… si je faisais du stop, c’est que c’était bien le signe que je n’avais pas tant d’argent que ça. La discussion n’est pas allée si loin.

QUESTION : Ca fait longtemps que vous êtes à Mayotte ? Quelles sont vos observations par rapport à ces changements : délinquance, insécurité… ?

REPONSE : REPONSE : Ca fait huit ans que je suis à Mayotte. Ca fait huit ans qu’on voit les choses se dégrader. On est entre le pessimisme et l’espoir qu’on trouve des solutions mais c’est vrai que ça fait peur pour l’avenir de Mayotte, se sentir à la merci d’une violence qui peut frapper à tout moment n’ importe qui et souvent pour pas grand-chose, pour quelques euros…

QUESTION : On a perdu Mayotte «  havre de paix » ?

REPONSE : Je n’espère pas.

QUESTION : Vous pensez quitter Mayotte ?

REPONSE : Je m’étais fait cette réflexion un an en arrière quand Christophe, le père de famille allant chercher son fils après son cours de judo,  s’était fait agresser et qu’il est mort. Je me disais : - est ce que j’attends que ça m’arrive à moi pour partir. Des fois, on n’a pas le choix de partir ou pas d’ ailleurs, donc je ne me pose pas trop la question.
Je voudrais remercier la voiture qui s’est arrêtée même s’ils sont repartis tout de suite sentant le danger. Le simple fait de s’arrêter, ça donne un petit coup d’aide et je pense que ça a déstabilisé un peu les agresseurs. Merci à ces gens là que je ne connais pas.

QUESTION : C’est dur pour vous, enseignant, de vivre cette situation ?

REPONSE : On travaille tous les jours avec des jeunes pour leur donner des valeurs de paix et de solidarité. On estime y arriver mais je crois qu’ il y a beaucoup de jeunes qui n’ ont pas la chance d’ aller à l’ école ou beaucoup de jeunes qui, malgré l’ école, ne trouvent pas leur voie et se retrouvent confrontés aux aux galères qu’ on peut imaginer. Moi je me mets souvent à la place de ces jeunes. Il faut essayer de comprendre ce qui les mène à ça… parfois, c’est la drogue, parfois ils n’ont pas d’autre solution pour trouver de quoi manger. Ils deviennent agressifs contre les personnes qui s’en sortent mieux. Je souhaite que les jeunes de Mayotte, puisque ce sont eux qui feront Mayotte demain, qu’ils prennent conscience de tout ça et ne se laissent pas déborder par ces événements. C’est le message que je voudrais faire passer.

Propos recueillis par Emmanuel TUSEVO DIASAMVU


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