Militarisation de Mayotte : union de la classe politique mahoraise face aux accusations russes

La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, lors d'une conférence de presse en juin 2024.
Depuis hier, le monde politique s'enflamme autour de Mayotte. Au cœur de la polémique : l'appartenance du 101ème département à la France, remise en question par la Russie. La porte-parole du ministère des Affaires étrangères russes a dénoncé, lors d'un point presse, la « militarisation de Mayotte » et accusé Paris de « contrôler illégalement » l'île.

Il a suffi d'une phrase de Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères russes pour relancer le débat. « En vertu du droit international, cette île appartient à l'union des Comores » et la présence militaire française sert à « assurer le contrôle d'un territoire d'outre-mer détenu illégalement »

Des déclarations qui font écho aux récents propos tenus par Manuel Valls, ministre des Outre-mer, en lien avec la base navale militaire de Mayotte. Le ministre avait répondu à l’une des questions de la députée mahoraise, Estelle Youssouffa, au sujet d’une éventuelle création de nouvelle base militaire à Mayotte. Un échange qui avait reçu plusieurs interprétations.

Le gouvernement comorien avait rapidement réagi en pointant du doigt une volonté de « souveraineté » de la part de la France et avait fait part de son mécontentement. Le ministère des Outre-mer était revenu sur ces propos, affirmant qu’il ne s’agissait pas de la création d’une nouvelle base militaire mais bien d’un « soutien à la base militaire » déjà existante

Hier, la diplomate russe, Maria Zakharova, a insisté, « La Russie s'oppose systématiquement à la militarisation injustifiée de tout territoire, avec des conséquences dangereuses pour la paix et la sécurité de certaines régions. Cela s'applique pleinement à la zone hautement sensible de l'océan Indien. » Elle a conclu ses propos en dénonçant les « aspirations militaristes » de l'administration Macron, affirmant que celles-ci dépassent les frontières de l'Union européenne.

Une symbiose des premières réactions politiques

Des accusations qui ont provoqué de vives réactions au sein de la classe politique française avec en première ligne le Rassemblement national.

Marine Le Pen a rapidement réagi sur son compte X en affirmant que « la Russie n'a pas de leçon à nous donner, n'a pas à remettre en cause notre souveraineté. Si la France veut se doter d'une base militaire à Mayotte (ce qui est une excellente idée), elle le fera. » Une position audacieuse pour la représentante du Rassemblement national qui tente depuis plusieurs années d’entretenir des relations cordiales avec le gouvernement russe. 

Le ministère des Outre-mer a, quant à lui, communiqué sur son compte X à la suite des propos tenus par la porte-parole du ministère des Affaires étrangères russes. « L’installation d’une ambassade de la fédération russe à Moroni aux Comores et les déclarations scandaleuses de la porte-parole du ministère des affaires étrangères russes accusant la France de « contrôler illégalement » l’archipel sont un signal clair de cette stratégie », lit-on sur le compte officiel du ministère. 

Manuel Valls a réaffirmé son soutien à Mayotte et a mis en avant la volonté des Mahorais de rester français. « Nous défendrons toujours avec la même fermeté l’intégrité de Mayotte, département français. C’est le choix souverain des Mahorais ».

Localement, des élus remontés

A Mayotte, les réactions des élus ne se sont pas fait attendre. Soula Said-Souffou a dénoncé ce qu'il considère comme une « ingérence inacceptable ». Selon le conseiller départemental, les déclarations russes ne sont pas surprenantes, mais elles révèlent un manque de reconnaissance de la valeur stratégique de Mayotte.

« Je ne suis pas étonné par cette déclaration, qui constitue en réalité des ingérences inacceptables. Mais ces ingérences ne sortent pas de nulle part, en réalité peut-être que seuls les Mahorais ne connaissent pas leurs valeurs, ne connaissent pas la valeur stratégique de notre territoire dans le canal du Mozambique », a-t-il déclaré. 

L’élu a ajouté que la situation actuelle reflète une problématique de sous-développement dans les territoires ultramarins français, ce qui laisse place à des influences extérieures comme celles de la Russie ou de l'Azerbaïdjan. « Il faut que notre pays, que notre nation, se décide enfin à accorder les mêmes droits, le même niveau de développement dans les Outre-mer qu’à Paris », a-t-il insisté, soulignant les risques de tensions croissantes si cette inégalité persiste.

De son côté, Jacques Martial Henry a exprimé des inquiétudes plus larges sur les motivations russes et leur influence dans la région. « C’est une situation très inquiétante. Surtout, c’est la deuxième fois que de tels propos sont tenus par un ministre russe », a-t-il affirmé. Il estime que la Russie a déjà utilisé des discours similaires pour justifier ses actions militaires, comme l'annexion de la Crimée, et qu'une stratégie similaire pourrait être en cours en Afrique, via son soutien aux extrêmes droites en Europe. 

« Cette stratégie est claire : financer les extrêmes droites, notamment le RN en France, pour alimenter ce sentiment de haine à l’égard du peuple noir musulman », a-t-il ajouté. Il a aussi rappelé les tensions locales de février 2024, lorsque des militants du sud de Mayotte avaient envisagé hisser le drapeau russe lors des grèves.

Les élus de Mayotte s'accordent à dire que les déclarations russes vont au-delà d'une simple critique de la présence militaire française dans la région. Pour eux, ces attaques visent plus largement à déstabiliser les liens de la France avec ses territoires d'Outre-mer, un enjeu stratégique majeur pour la stabilité de l'océan Indien.