En plein incendie, des pompiers pointent un manque structurel de moyens

Incendie dans les locaux d'Enzo Technic Recyclage
Mayotte est touchée depuis deux jours par le plus grande incendie de son histoire récente. Plusieurs pompiers sur place dénoncent les risques qu’ils encourent à cause du manque de moyens.
 
Debout sur une structure métallique instable, Abdou* observe l’épaisse fumée qui se dégage des entrepôts en feu de l’entreprise Enzo Technic Recyclage. Portée par le vent, elle fouette le visage cagoulé de ce pompier professionnel. Seuls ses yeux dépassent. A ses pieds, une lance incendie. Il n’a pas de masque sur le visage. Le nombre de bouteilles à oxygène est venu à manquer pendant l’opération. Un compresseur, qui permet de remplir celles qui sont vides, est arrivé seulement le matin qui a suivi début de l’opération.

Abdou est fatigué. Il attend la relève avec impatience, mais celle-ci ne vient pas. Il est presque 9H du matin, et il a passé la nuit à combattre le feu. Comme d’autres pompiers présents sur cet incendie, il déplore « un manque de moyens humains et matériels. »

Il n’est pas le seul à faire ce constat. Hamada*, lui aussi pompiers professionnel, a été appelé pour intervenir sur le site alors qu’il se trouvait à la caserne. « Je suis arrivé hier à 7h du matin à la caserne, à 15h j’étais envoyé en intervention. J’ai participé au combat contre l’incendie jusqu’à minuit. J’étais renvoyé sur le terrain à 8h du matin. Je n’ai dormi que deux heures, je suis épuisé et inefficace. » Exaspéré, il ajoute : « Les pompiers aiment leur boulot. Mais on a un niveau opérationnel qui est trop soutenu. »
 

« Nous n’avons eu aucun ravitaillement en eau ou en matériel. »


A l’entrée de la caserne de Kawéni sont installées des pancartes de soutien à la grève que mène une partie des pompiers qui réclame de meilleures conditions de travail. Installée dans la cour, Sophie* fume une cigarette.  Elle s’excuse de son visage fatigué, « je reviens à peine, j’ai passé toute la nuit en intervention ! » La jeune femme est pompier volontaire depuis 5 ans, « mais seulement depuis avril à Mayotte. » Énervée, elle déplore les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention. « Nous n’avons eu aucune ravitaillement en nourriture, et surtout aucune bouteille d’eau cette nuit. »
 
Un pompier tente de contenir l'incendie en arrosant les déchets accumulés par l'entreprise
Le manque de matériel, qu’elle décrit comme « récurrent », amène parfois les pompiers à se mettre en danger. Ce fut le cas lors de l’incendie de Kawéni. Sophie attend, depuis avril, que sa tenue de feu lui soit livrée. Elle ne l’a pas reçu malgré plusieurs rapports transmis à la direction. Pour pouvoir intervenir sur cet incendie monstre, elle a dû emprunter la tenue d’un collègue dont elle a pris la relève. « Je me suis retrouvée devant le feu alors que je portais des habits trop grands, qui ne me protégeaient pas correctement des flammes. Les vêtements étaient trempés de la sueur de celui qui les a portés avant moi. Malgré la chaleur, j’étais frigorifiée. »
 

Un SDIS tout neuf, encore en train de se structurer.


Plus encore, elle dénonce une mise en danger de certains pompiers présents sur le terrain. « Il n’y avait pas un seul infirmier ou médecin pendant l’opération, pas même un VSAV (véhicule de secours et d’aide aux victimes) pour nous secourir en cas de problème ! »

Un manque qui s’explique par la situation particulière de Mayotte. Sur l’île, il n’y a pas encore de soutien sanitaire et opérationnel (SSO), un soutien médical censé venir soutenir les équipes pendant les opérations.  « Nous espérons le mettre en place d’ici la fin de l’année » indique le Médecin-colonel Patrick Dahlet, en charge de la création du SSO. « Pour l’instant je ne peux compter que sur trois infirmiers, quand le SSO nécessite d’en avoir une douzaine, avec des gardes constantes. »

Le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) « connaît un problème de stabilité en ce qui concerne les infirmiers. Beaucoup sont des jeunes venus de métropole qui ne restent pas suffisamment longtemps. » Il conclut en précisant que « c’est la première fois que Mayotte est confronté à une intervention qui aurait nécessité un Soutien Sanitaire et Opérationnel. »

Malgré nos sollicitations, la direction du S.D.I.S n'a pas pu répondre à nos questions. 

*Les prénoms ont été changés.