La justice souffre à Mayotte. Voilà le message que le monde judiciaire veut faire passer au garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti. Les cadences de travail sont soutenues, la justice a du mal à fonctionner en raison d'un manque de moyens humains.
Il nous manque du personnel, des magistrats, des greffiers et même des avocats. Nous sommes 30 pour 300 000 habitants alors que dans des départements comparables ailleurs, il y a 250 à 300 avocats.
Yanis Souhaïli, avocat au barreau de Mayotte
L'avocat donne pour exemple le délai de notification des décisions de justice qui est de plusieurs mois après le jugement. Quoi de plus normal, puisque selon Clara Faure, juge des enfants, le tribunal fonctionne actuellement avec seulement 30 % de son effectif total.
Il y a beaucoup d'arrêts maladies, il nous manque du personnel, des greffiers, des interprètes. La directrice du greffe a été évasanée, un greffier a fait une tentative de suicide la semaine dernière. Et il faut des interprètes. Il n'y en a que 4 pour tout le tribunal. Il y en a un qui a 500 heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées. C'est impossible de rendre la justice convenablement dans ses conditions !
Clara Faure, juge des enfants au tribunal judiciaire de Mamoudzou et membre du Syndicat de la magistrature
Les magistrats sont un peu mieux lotis puisque des recrutements ont été faits. Mais c'est encore insuffisant. Un troisième juge des enfants est réclamé pour faire face au volume important des affaires concernant les mineurs. Les avocats demandent par ailleurs la création d'une cour d'appel de plein exercice à Mayotte en lieu et place de l'actuelle chambre d'appel détachée dépendant de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion.
Ce qui est bizarre, c'est que lorsque la chambre d'appel détachée a été créée à Mamoudzou, la même juridiction a été supprimée à Cayenne.
Yanis Souhaïli, avocat au barreau de Mayotte
Des mesures pour rendre Mayotte attractive
Autre point important, la destination Mayotte n'est pas assez attractive. Les magistrats restent rarement plus de 3 ans et la venue de magistrats expérimentés est souhaitée pour accompagner les jeunes sortis de l'Ecole nationale de magistrature. Du côté de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les agents titulaires ne viennent pas à Mayotte en raison de l'insécurité qui y règne. Des contractuels sont embauchés. Mais il subsiste des discriminations statutaires et salariales.
Les contractuels doivent avoir une indemnité de vie chère à 40 %. Ils n'ont pas d'indemnité de logement. Et dans l'évolution de nos carrières, il faudrait tenir compte de la difficulté d'exercer à Mayotte avec une délinquance juvénile importante, ce qui est le cœur de nos métiers
Sheriff Pereira, éducateur à la PJJ et représentant de la CFDT
Des discriminations également perçues au centre pénitentiaire de Majicavo. Là aussi, les fonctionnaires locaux, titulaires et contractuels ne bénéficient pas des mêmes avantages pécuniaires que leurs homologues venus de l'Hexagone ou d'autres DOM.
Il n'y a pas d'aide au logement pour les fonctionnaires locaux, alors que nous aussi nous louons des appartements ou des maisons pour nous loger. On veut être sur le même pied d'égalité que nos collègues venus d'ailleurs.
Ali Madi Saïndou, surveillant à la prison de Majicavo et représentant de la CGT
Parmi les revendications soumises au ministre de la Justice, figure notamment la construction d'un centre éducatif fermé pour les mineurs. Le député Mansour Kamardine, avocat de profession comme le garde des Sceaux, l'a rappelé dans des courriers envoyés à Eric Dupond-Moretti. Au vu de la part importante de la délinquance juvénile, ce centre semble être un début de solution.
Une évaluation du schéma régional de placement des mineurs avant le centre éducatif fermé
Mais pour les agents de la PJJ, une évaluation préalable du schéma de placement intégrant les structures prenant en charge les mineurs délinquants à Mayotte et à La Réunion doit être réalisée. Le député demande également la construction d'une nouvelle prison pour soulager celle de Majicavo. Des revendications déjà connues au ministère de la Justice.
Le directeur général de la justice était là il y a 15 jours, il connaît parfaitement la situation. Tous les syndicats ont fait remonter nos besoins, mais nous n'avons jamais été entendus. Et franchement, nous attendons une réelle prise de conscience de la situation actuelle du tribunal, de la souffrance des professionnels et des mesures concrètes et rapides pour que la justice puisse être rendue dans un territoire qui en a tant besoin. On se sent abandonnés.
Clara Faure, juge des enfants au tribunal judiciaire de Mamoudzou et membre du Syndicat de la magistrature
D'ailleurs, dans le monde de la justice, une grande partie déplore l'heure d'arrivée tardive d'Eric Dupond-Moretti au tribunal. Le vendredi à 16 h 30, tout le monde est déjà parti en temps habituel. Mais peut-être que certains en désespoir de cause auront le courage de rester pour se faire entendre durant les quelques minutes réservées au dialogue avec les acteurs de la justice.