Radiation des listes électorales spéciales: pour Jean-Jacques URVOAS, l'Etat ne doit pas se laisser instrumentaliser

Jean-Jacques URVOAS, Président de la commission des lois (Assemblée Nationale)
Le Président PS de la Commission des Lois est intervenu, via son blog, après les déclarations du Premier Ministre à l'Assemblée Nationale. Jugeant "curieuse et solitaire"l'initiative de Roch Wamytan, Jean-Jacques Urvoas, estime que l'Etat ne doit pas être instrumentalisé dans cette affaire.

Jean-Jacques URVOAS est député du finistère et Président de la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale. Il est récemment venu en mission parlementaire en Nouvelle-Calédonie avec René Dosière et Dominisue Bussereau. Tous les trois sont co-auteurs d'un rapport sur la Nouvelle-Calédonie publié en Octobre dernier (Voir ICI ).
Voici comment il a réagi, via son blog parlementaire, à la demande de radiation de plus de 6700 électeurs des listes électorales spéciales, formulée par Roch Wamytan. Nous reproduisons ici sa contribution:



"En Nouvelle Calédonie, la révision de la liste électorale est un sujet aussi délicat que la nitroglycérine.Il vient pourtant d’être remué par une initiative aussi curieuse que solitaire du président du Congrès Roch Wamytan. Celui-ci demande en effet la radiation de 6720 électeurs qui n’étaient pas inscrits en 1998 mais qui ont depuis déjà voté, pour un certain nombre d’entre eux, aux précédentes élections provinciales. Il appuie sa revendication sur un arrêt de la Cour de cassation rendu en novembre 2011.Immédiatement, cette déclaration a jeté le trouble, le sénateur UMP Frogier réclamant même d’une part une réunion du comité des signataires de l’Accord de Nouméa et d’autre part le report des prochaines provinciales prévues pour le mois de mai.
Après l’intervention hier lors des questions d’actualité de Jean Marc Ayrault en réponse à une interrogation de Sonia Lagarde, candidate UDI à la mairie de Nouméa, qu’il me soit donc permis, avec le recul que donne la distance géographique et la prudence qui sied aux néophytes de rappeler quelques éléments.
1 – Une considérable mauvaise foi permet seule d’utiliser l’arrêt « Oesterlin » de la Cour de Cassation à l’appui d’une demande de radiation. Sa simple lecture indique combien il confirme la non-rétroactivité de la loi constitutionnelle du 27 février 2007.

S’il est vrai que le principe d’égalité tel qu’il est interprété par le Conseil Constitutionnel depuis plusieurs années peut souffrir de différences de traitement, celles-ci doivent être justifiées par des différences de situation. Dans le cas d’espèce, la révision constitutionnelle de 2007, et les travaux parlementaires sont là pour le confirmer, visait à traduire le délicat équilibre trouvé lors de la signature de l’accord de Nouméa, en gelant le corps électoral. Dès lors, distinguer entre les deux conditions de l’art. 188 me paraît soulever une difficulté sérieuse au regard de ce principe constitutionnel. En effet, établir cette distinction porte atteinte non seulement au principe d’égalité en général mais encore au principe d’égalité devant le suffrage qui bénéficie d’une protection renforcée. Or distinguer entre les deux conditions a) et b) de l’art. 188, donc entre les deux catégories d’électeurs, conduit à créer une différenciation de traitement injustifiée sans rapport avec l’objet de la loi de 2007.

2 – L’instrumentalisation de la révision des listes électorales à laquelle se livre le président du congrès de Nouvelle Calédonie est de nature à perturber la campagne électorale des provinciales et risque de porter atteinte à l’acceptation de son résultat, laquelle est évidemment fortement indexée sur le traitement équitable des différentes communautés dans l’application de l’art. 188.

Il serait bien plus pertinent de s’attacher à l’établissement du corps électoral appelé à se prononcer lors de la consultation de sortie de l’accord de Nouméa ce qui permettra de prendre en compte certains électeurs actuellement exclus du corps électoral spécial.

3 – Il est extrêmement précieux que le Premier Ministre hier ait conforté dans son rôle et dans ses positions l’actuel Haut Commissaire marquant ainsi l’attachement de l’Etat à sa place de partenaire et de garant de l’Accord de Nouméa.

Jean-Jacques URVOAS
Président de la Commission des Lois 
Co-Auteur du rapport parlementaire sur la Nouvelle-Calédonie du 9 octobre 2013