En Australie comme ailleurs, les maths font peur. Et aussi, les maths sont souvent perçues par les Aborigènes « comme un truc de Blancs », souligne Chris Matthews. Ce docteur en maths a donc élaboré une méthode pédagogique inédite en utilisant les chants et danses de certains peuples aborigènes.
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En Australie, les écoliers aborigènes ont en moyenne deux ans de retard sur le niveau général des élèves en classe de mathématiques. Au début de sa scolarité, Chris Matthews a incarné ce stéréotype. Il était le seul Aborigène dans sa classe, « Quand j’étais au CE1, je me suis fait prendre en train de tricher avec une antisèche de la table de multiplication de 2 », se remémore-t-il en riant. Chris Matthews appartient à la tribu des Noonuccal (du peuple Quandamooka), qui sont les propriétaires coutumiers de l’île de Stradbroke Island (Minjerribah en langue locale), située juste en face de Brisbane, mais il a grandi à Toowoomba, une petite ville située à une centaine de kilometres à l’ouest de la capitale du Queensland. C’est là que l’ancien cancre du CE1 s’est transformé en passionné des mathématiques quelques années plus tard, quand ses professeurs lui ont fait découvrir l’algèbre. « Ça a été une révélation pour moi. Je me souviens un jour, en classe, je me suis dit “mais comment ça se fait que ce soit si facile?”», raconte-t-il. Devenu fort en maths, Chris Matthews a poursuivi sa route à l’université, où il est devenu l’un des rares Aborigènes à obtenir un doctorat de mathématiques appliquées.
Les maths, un outil important pour l'avenir des terres aborigènes
Heureux dans son monde des signes abstraits, Chris Matthews ne s’en est pas pour autant arrêté là. Il veut partager sa passion, particulièrement avec des élèves aborigènes, pour des raisons à la fois pragmatiques, culturelles et politiques. Le mathématicien veut permettre aux indigènes de prendre les décisions qui concernent leurs terres, en toute connaissance de cause – pour décrypter les plans d’exploitation des mineurs, par exemple, ou toute autre projet qui affecte l’environnement. « Nous avons besoin de cette compétence pour participer au processus de prise de décision et analyser les rapports scientifiques », souligne Chris Matthews, qui est actuellement maître de conférences de mathématiques appliquées à la mécanique des sols, à l’institut des sciences de l’environnement de l’université Griffith, à Brisbane.
7-3 = 4 kangourous tués par des chasseurs
Le mathématicien aborigène a donc inventé une nouvelle méthode d’enseignement pour séduire même les plus rétifs. Fini l’abstraction des signes blancs sur le tableau noir, fini l’apprentissage par coeur. « Mon cerveau ne fonctionne pas comme ça, cette méthode m’angoisse », confie Chris Matthews. Avec lui donc, les mathématiques racontent une histoire, et ils se jouent en plein air. Prenez cette équation: 4x2 = 8. Les élèves de Chris Matthews en ont fait une danse de grues brolga. Deux enfants incarnent les volatiles, elles rejoignent un autre duo de brolgas qui font mine de voler, etc. jusqu’à atteindre un groupe de 8. Et 7-3? Un jeu d’enfants: 7 kangourous paissent sur la prairie, mais 3 d’entre eux sont tués par des chasseurs. Une autre soustraction, racontée autrement: un groupe d’enfants forment un nuage qui passe au-dessus des terres, et plusieurs d’entre eux quittent le nuage au fur et à mesure qu’il déverse de la pluie. « Tous les êtres humains veulent comprendre le monde qui les entoure à travers leur propre prisme culturel. (…) Les élèves s’identifient à quelque chose qui a du sens pour eux », constate Chris Matthews.
Les maths passent par le corps
Fondateur-président de l’alliance des Aborigènes et des indigenes du détroit de Torrès pour les mathématiques (ATSIMA), Chris Matthews a mis au point sa method pédagogique avec l’équipe du centre de recherche pédagogique Yumi Deadly Maths, à l’université de technologie du Queensland, dont la mission est d’apprendre les maths aux élèves défavorisés, qu’ils soient indigènes ou pas. « Raconter une histoire pour faire comprendre les maths, c’est la base de notre pédagogie maintenant », explique le professeur Tom Cooper, directeur de Yumi Deadly Maths. « Et il faut enseigner les maths en utilisant le corps. Donc si vous abordez les distances, il faut faire courir des distances aux élèves. Si vous leur apprenez les chiffres, vous les faites s’allonger sur le sol pour dessiner des chiffres avec leurs corps », explique-t-il.
Une méthode qui marche
Depuis 2010, 250 écoles ont adopté ce programme pédagogique. Et selon le professeur Cooper, c’est un succès. « Il y a tellement d’écoles qui nous ont dit que cette méthode avait considérablement amélioré le niveau de leurs élèves, et nous avons les preuves qu’elle a amélioré leur score au NAPLAN (le test national australien de lecture, écriture et calcul, NDLR) ». Selon le professeur, danser ou incarner les mathématiques n’est pas une méthode réservée aux « nuls ». Des écoles d’élite australiennes l’ont aussi adoptée.
(Cet article est basé sur le reportage d'Annah Salleh, de la rédaction scientifique d'ABC. )