Avenir institutionnel et industriel de la Calédonie : ce qu'ont dit Gérald Darmanin et Bruno Le Maire durant leur interview

Gérald Darmanin et Bruno Le Maire sur un même plateau télé, "c'est la première fois que ça nous arrive".
Nombreux sujets abordés, samedi soir, sur NC la 1ère, avec les ministres Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, interviewés par trois journalistes de Nouvelle-Calédonie. Accord institutionnel, réforme constitutionnelle, corps électoral pour les provinciales, appel à l'UC, pacte pour le nickel… Tour d'horizon de leurs déclarations.

Annonces, mises au point, engagements… Deux piliers du gouvernement Borne II se retrouvaient samedi soir dans le studio de NC la 1ère, pour une interview de quarante minutes. Un entretien dédié à la situation et aux perspectives concernant, d'une part le devenir institutionnel de la Calédonie, et d'autre part la position critique de la filière nickel. Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, et son homologue Bruno Le Maire, en charge de l'Economie et des finances, étaient interrogés par trois journalistes : Thérèse Waïa pour NC la 1ère, Elizabeth Nouar pour RRB et Audrey Poedi pour Caledonia. Voici l'essentiel de leurs propos.

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"L'État avancera", même sans accord global

Gérald Darmanin le répète. "Soit il y a un accord institutionnel global" sur l'avenir de la Calédonie. "Soit il n'y a pas d'accord global d'ici la fin décembre. Dans ce cas, l'Etat avancera sur la modification du corps électoral, seul."

Au 31 décembre, s'il n'y a pas d'accord, je déposerai, avec la Première ministre, un projet de loi organique, pour modifier les listes électorales pour les élections provinciales qui se tiendront en 2024. 

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer

Avis imminent du Conseil d'Etat

"Nous avons saisi le Conseil d'Etat qui, le 8 et 9 décembre sans doute, donnera son avis définitif pour que nous puissions, quoi qu'il arrive, avancer" sur ce sujet du corps électoral, signale-t-il en effet. 

Un ministre "échaudé"

Le très occupé ministre de l'Intérieur et des Outre-mer évoque sa déconvenue : "Cela fait quasiment deux ans que je demande, après le président de la République, après le travail qu'a fait Sébastien Lecornu, de nous mettre d'accord sur l'avenir institutionnel, après ces trois référendums où les Calédoniens ont choisi de rester dans la France (…) Ça fait la cinquième fois que je viens mener ces discussions. J'ai été un peu échaudé de voir qu'une partie des indépendantistes, notamment l'Union calédonienne, ne voulait pas rentrer dans la discussion". Il se veut aussi positif, remerciant l'UC d'être venue dialoguer : "Je pense qu'il y a eu une avancée, durant ces deux jours."

“La balle dans le camp de l’UC”

Le locataire de la place Beauvau envisage de revenir encore, début décembre. "La balle est dans le camp des partis politiques et singulièrement celui de l’Union calédonienne", formule-t-il. "Si l'Union calédonienne accepte les trilatérales, je suis prêt à revenir (…) la semaine prochaine pour que nous puissions conclure, au maximum, cet accord, pour que nous puissions modifier la Constitution."

Trois enjeux

Ce changement de la Constitution revêt trois enjeux à ses yeux.

  1. "Le renouveau de la citoyenneté calédonienne".
  2. "Qu'on accepte l'idée que les élections provinciales permettent à des Calédoniens qui sont là depuis de très nombreuses années de pouvoir voter aux élections locales. C'est une anomalie, et nous allons la corriger."
  3. "Qu'il y ait une autodétermination effective, mais qu'on arrête avec des dates". Il est davantage question, on le sait, d'un référendum de projet soumis à la population sans interrogation binaire.

Loi organique ou modification constitutionnelle

Et de détailler les alternatives, avec ou sans grand accord. "Soit nous pouvons modifier, par la loi organique, les listes électorales pour les provinciales (…) et la répartition [des élus]. C'est plus simple. Chaque assemblée (Sénat, Assemblée nationale) doit voter une loi, à la majorité absolue, ce que nous avons pour ce genre de modification", dit-il.

"Soit on considérera qu'y compris les articles dits transitoires du titre prévu dans la Constitution pour la Nouvelle-Calédonie demandent une modification constitutionnelle. Et là, je le dis : même si nous n'avons pas d'accord sur l'ensemble des sujets calédoniens, nous [la] ferons".

"Que tout le monde serre la main tendue" 

"Les indépendantistes et les non indépendantistes se croisent tous les jours, dans les provinces, au Congrès, dans les communes, dans la rue", lance Gérald Darmanin. "Ils mangent ensemble peut-être, ils font du sport ensemble. Et il n'y aurait que quand le ministre de l'Intérieur vient qu'ils ne pourraient pas se parler (…) L'Etat met beaucoup d'énergie, fait des propositions, arrive avec des positions équilibrées. Et mérite sans doute un peu de considération. Il faut désormais que tout le monde serre la main tendue de l'Etat."

J’invite l’Union calédonienne, d'abord à faire un travail commun avec l’Uni-Palika, parce qu'aujourd'hui, ils ne sont pas ensemble, c'est un problème quand les partis indépendantiste sont divisés. Et travailler ensemble avec les non indépendantistes parce qu’ils ont à construire l’avenir de leur jeunesse.

Gérald Darmanin

Vers un "nouveau pacte pour le nickel"

Bruno Le Maire dit pour sa part l'urgence à sauver le secteur nickel. "Les trois sites industriels sont en grande difficulté financière et la solution doit être trouvée dans les semaines qui viennent", martèle le ministre de l'Economie et des finances. "L'objectif est d'avoir un projet économique viable pour tous les Calédoniens. Ce que je suis venu proposer, discuter, c’est un nouveau pacte pour le nickel calédonien, qui reposerait sur trois piliers." Il espère le signer d'ici début 2024.

Le statu quo n'est pas possible. Nous devons bouger parce que c'est la condition indispensable pour garantir la rentabilité financière immédiate des trois sites industriels.

Bruno Le Maire, ministre de l'Economie

L'exploitation et l'exportation

Premier pilier du pacte, l'exploitation et l'exportation. "Aujourd'hui, les exportations de minerai, y compris à plus faible teneur, sont compliquées, difficiles voire pas possibles. Or, c'est de la valeur immédiatement disponible (…) et nous avons besoin de ces minerais pour garantir la rentabilité économique de long terme de l'ensemble des sites industriels."

Les industriels ne s'engageront que si l'on donne de la visibilité et de la sécurité sur l'exploitation et sur l'exportation du minerai. C'est pour ça que j'en fais le point de départ et je considère que c'est une des conditions importantes pour parvenir à un accord global.

Bruno Le Maire

L'énergie subventionnée

C'est le deuxième pilier. "On sait que dans les cinq à dix années qui viennent, l'énergie restera trop chère, il faut la subventionner." Or, "on parle de plusieurs centaines de millions d’euros", insiste le patron de Bercy. "L’État est prêt à prendre toute sa part (…) pourvu que ce soit sur la base d'un projet rentable."

"Passé ces cinq à dix années de subventions et de transition, il faudra réfléchir, sur la base des propositions de la Commission de régulation de l'énergie, aux différentes options énergétiques pour que la Nouvelle-Calédonie ait droit à une énergie décarbonée et moins chère". 

Les débouchés

Le troisième pilier. "Maintenant que des véhicules électriques se développent en Europe", Bruno Le Maire demande "s'il n'y aurait pas un intérêt réciproque (…) à construire aussi des débouchés" dans cette direction, au-delà du "Chine - Japon - Corée" actuel. Et d'y revenir : "Je pense qu’on n'est qu’au début de la révolution des véhicules électriques, qu’elle va s’accélérer. Diversifier les débouchés, asiatiques d’un côté, européens de l’autre, me parait une très bonne stratégie.” 

"L'État n'est pas un puits sans fond"

C'est encore le ministre Le Maire qui le dit. Il précise que l'Etat soutient l'économie calédonienne à hauteur d'1,5 milliard d'euros par an (180 milliards de francs). Celui qui s'est entretenu samedi avec Louis Mapou salue au passage les réformes engagées par le gouvernement calédonien, "notamment en matière de fiscalité". Et il exprime sa "très grande confiance dans l’économie calédonienne. Le territoire calédonien est d’une richesse exceptionnelle." Il y a le nickel mais aussi le tourisme et l'agriculture, qui peuvent encore être développés. Ou la tech.

Un président du gouvernement au suffrage universel direct ?

Cet entretien a aussi passé en revue la place des institutions calédoniennes. "J’ai proposé que le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie soit élu au suffrage universel direct", a annoncé Gérald Darmanin, "je constate qu'il n'y a pas d'accord pour cela." Autre proposition, mieux passée : que le Congrès soit renommé Parlement "pour montrer l’importance et la très large autonomie de la Nouvelle-Calédonie dans l’institution française".

"Oui" pour que le Sénat coutumier ait plus de pouvoir

"Le Sénat coutumier", dit le ministre de l'Intérieur, "mérite une place particulière en Nouvelle-Calédonie, institutionnellement. Ils ont beaucoup travaillé, ils ont fait des propositions eux aussi et ils seront entendus." Il cite aussi la piste "de trouver un rapprochement avec le Conseil économique et social (…) pour donner [des] avis", et qu'ils soient davantage écoutés". Par ailleurs, il "pense qu'il y a un sujet entre les communes et la coutume. On sait bien qu'il y a deux droits qui s'appliquent. Il faut qu'ils soient davantage en lien."

À quoi ressemblerait un référendum de projet ? 

Gérald Darmanin qui s'attarde sur le référendum de projet en réflexion à travers le document martyr. "Le Congrès pourrait décider de réfléchir à un projet, accepté par deux tiers des membres. C'est-à-dire au-delà de son camp politique (…) Ça évite la confrontation que nous avons connue jusqu'à présent (…). Si le Congrès à ces deux tiers est d’accord, on consulte la population calédonienne, sur un projet qui n’est pas forcément l’indépendance, qui peut être une nouvelle façon de vivre, de nouvelles institutions…"

L'Etat n'est pas là pour imposer. Il est là pour dire qu'il y a quelque chose à moderniser. Pour cela, il faut que tout le monde vienne discuter. 

Gérald Darmanin

Voyez aussi la synthèse de Charlotte Mannevy, juste après l'entretien.