"Il avait 29 ans quand il est mort. Et je n’avais que 18 mois. Donc je n’ai aucun souvenir de lui."
Kazutoshi Yato a attendu huit décennies pour se recueillir avec sa femme, sa fille et ses deux petits-enfants sur la stèle érigée à Nouméa, à la mémoire de son père, Torashige Yato et de ses 96 autres camarades, emportés par mille mètres de profondeur, à bord du sous-marin I17, le 19 août 1943.
Un lieu de mémoire
"Je me suis dit que c’était une des dernières occasions de venir de mon vivant me recueillir sur la tombe de mon père. Et par chance, les gens en Nouvelle-Calédonie ont érigé ce monument." Pour les Japonais, se rendre au cimetière est "quelque chose d’important", souligne l’octogénaire.
"J’apprécie beaucoup ce que (les Calédoniens) ont fait. Car le gouvernement japonais n’a rien fait pour nous. L’I17 n’étant qu’un navire parmi de nombreux autres à avoir coulé."
Kazutoshi Yato
Une erreur de traduction
Sur la stèle qui porte les noms des 97 disparus, le patronyme familial a été écorché. "Lorsque nous avons fait traduire les noms des victimes, il y avait deux possibilités pour notre moine bouddhiste qui faisait les traductions : Tanito ou Yato. Il a choisi Tanito", relate Marie-Josée Michel de l’amicale japonaise. Une erreur réparée pour ce 80ème anniversaire. "Monsieur Yato nous a précisé que c’était bien Torashige Yato, donc j’ai fait mettre une petite plaque supplémentaire pour qu’il puisse avoir la photo avec le vrai nom de son père."
Mécanicien dans l’Armée de l’air
Bien que membre d’équipage du I17, Torashige Yato « n’était pas sous-marinier","il faisait partie de l’Armée de l’air", précise son fils Kazutoshi. ll était chef mécanicien et il était bon dans ce qu’il faisait." Comme les autres sous-marins japonais de cette catégorie, l’I17 transportait un hydravion à son bord. "C’est comme ça que mon père s’est retrouvé sur ce navire."
De l’Alaska jusqu’à la Nouvelle-Calédonie, le jeune Torashige Yato écume les mers. Mais la mort plane tout au long du conflit. "Ma mère m’a raconté que, lors d’une permission à terre, il me tenait dans ses bras et il était en train de pleurer, parce qu’il savait qu’il allait mourir.
Elle m’a dit également bien plus tard qu’il avait le choix entre rester à terre pour servir comme instructeur ou s’embarquer sur un sous-marin et aller au front. Il a choisi d’aller à la guerre", relate Kazutoshi Yato.
Un drame s’ajoutant à un autre, sa petite sœur s’éteint à l’âge de 6 mois. "Je pense que quand mon père est décédé, ma mère était si choquée et si faible physiquement que peu de temps après sa naissance, ma petite sœur est morte."
Une nouvelle vie aux Etats-Unis
Peu avant sa mort, Torashige fait cette dernière demande à sa femme, qui changera radicalement le destin de la famille Yato. "Il lui a dit : peu m’importe ce que tu feras de ta vie, mais envoie ce garçon à l’université. Et c’est comme ça que nous avons atterri aux Etats-Unis. Parce que (ma mère) a épousé un soldat américain."
Ironie de l’Histoire, Kazutoshi Yato, architecte à la retraite, coule depuis cinquante ans des jours paisibles sur l’île d’Hawaï, là où la Guerre du Pacifique a commencé, avec le bombardement de Pearl Harbor par les forces aéronavales japonaises. Une bataille à laquelle le sous-marin I17 avait lui-même participé, le 7 décembre 1941, en empêchant les navires américains de fuir la zone.
Le reportage radio est à réécouter ici.