Comment les incendies peuvent polluer l’eau

Incendie. Photo illustration.
Pendant trois ans, des chercheurs ont étudié les conséquences des incendies sur la qualité de l’eau en Nouvelle-Calédonie. Leurs conclusions, attendues pour novembre, seront évoquées lors d’une conférence C’nature, à l'auditorium de la province Sud, le 7 novembre. Elles montrent notamment une corrélation entre feux et augmentation de la concentration en métaux dans l’eau.

Quelles sont concrètement les conséquences des incendies sur la qualité de l’eau que l’on boit ? Des chercheurs de Nouvelle-Calédonie et de l’Hexagone se sont penchés sur la question pendant trois ans. Farid Juillot, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Nouméa, a coordonné l’étude, financée par le CNRT. Il livre une partie des conclusions, qui doivent être présentées en novembre.  

L’érosion, source d’eaux rouges 

L’un des effets, le plus visible : la turbidité de l’eau ou les eaux rouges. “Le maquis, l’herbe, les arbres retiennent les particules présentes dans le sol.” Sans eux, “le nombre de particules arrachées par la pluie augmente”, explique le scientifique. Les chances d’en retrouver au robinet aussi. D’autant plus qu’en Nouvelle-Calédonie, “l’eau potable est captée à plus de 60% dans des eaux de surface, comme les creeks”.  

Tout ce qui contribue à détruire la végétation contribue à ces eaux rouges. Les incendies en font partie, comme l’exploitation minière ou les espèces envahissantes. La turbidité peut rendre malade mais “elle n’est pas toxique, on n’en meurt pas”.  

La chaleur transforme une partie du chrome peu toxique en sa forme la plus toxique

Farid Juillot, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD)

Autre conséquence, plus préoccupante : les feux peuvent libérer des métaux contenus dans le sol. Les scientifiques ont pu l’observer “en chauffant des échantillons de sols collectés à travers la Grande Terre ”. Or, “quand on parle de potabilité, on fait référence à certains métaux dont on soupçonne des effets sur la santé humaine : le nickel, le chrome, le cuivre, le zinc, le plomb ou encore l’arsenic”, rappelle Farid Juillot. Les deux premiers sont particulièrement présents dans les sols rouges, qui composent un tiers de la Grande Terre. "Ils sont relativement bien retenus” tant que l’érosion et/ou la chaleur n’ont pas dégradé l’état des sols. 

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Parmi ces métaux, “le chrome est un peu particulier parce qu'il est présent sous deux formes dans l’environnement. Une peu toxique, l’autre potentiellement mutagène et cancérigène.” La première est la plus répandue. Mais “on s’est rendu compte que la chaleur transforme une partie du chrome peu toxique en sa forme la plus toxique. On se demande si ce n’est pas ce qui se passe au niveau de certains captages où des dépassements de seuils sont fréquemment observés.” Captages situés dans des communes particulièrement exposées aux incendies.  

À l’île des Pins, des concentrations en nickel hallucinantes 

L’étude a également permis d’établir une corrélation entre les feux et des concentrations “alarmantes” en nickel relevées sur trois captages de l’Île des Pins. Des concentrations de plusieurs milliers de µg/l alors que le seuil de potabilité (au-delà duquel l’ingestion peut avoir des effets sur la santé) est fixé à 70 µg/l selon l’OMS et à 20 µg/l selon l’Union européenne.  

Un Calédonien, Gaël Thery, a consacré sa thèse à cette anomalie. En suivant le cours de l’eau et en étudiant le terrain de près, il s'est rendu compte que deux violents incendies avaient touché la zone en 2019. Au point de brûler la végétation qui pousse dans l’une des sources du captage, une dépression de surface. Et de libérer des particules de métaux qui se sont mélangées à l’eau de pluie. Facteur aggravant : la présence de pin caraïbe dans la zone, une espèce envahissante qui pompe la ressource en eau souterraine. “Moins d’eau souterraine veut dire des sols plus secs en surface. Mais également moins de diluants pour des eaux de surface chargées en métaux”, explique Farid Juillot. 

Souhait des scientifiques : mettre en place un système d’alerte 

Et, au bout, des captages pollués. Ils ne sont plus utilisés depuis trois ans. Ils ne le seront plus tant que les seuils de potabilité ne seront pas retrouvés. “Il faut attendre que la nature fasse le travail”, en espérant que la zone ne soit pas touchée par de nouveaux incendies. 

Ce qui a été observé à l’Île des Pins est considéré comme une anomalie. “Ce n’est pas un cas général mais pas pour autant un cas unique.” Les scientifiques aimeraient pouvoir continuer à étudier la situation à l’Île des Pins et analyser d’autres terrains. Mais également mettre en place un système d’alerte au niveau de tous les captages dont les bassins-versants sont composés de sols rouges. En cas d’incendie, une surveillance étroite serait instaurée. Objectifs : faire avancer la recherche et aider les autorités à anticiper les risques pour la population.

La conférence C’nature, organisée par la province Sud, sur les incendies, est programmée le 7 novembre, à 18 heures, à l’auditorium. Les invités : Farid Juillot, Gaël Thery, Fabien Albouy, directeur de l’Œil, et Pierre-Yves Lemeur (anthropologue à l'IRD).

L’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’Institut agronomique calédonien (IAC), l’université de Nouvelle-Calédonie et de plusieurs universités françaises ont participé à cette étude financée par le centre national de recherche technologique sur le nickel et son environnement (CNRT).