Trente tonnes de colis sont réceptionnées chaque mois par DHL, tout flux confondus. Le transporteur de fret en express connaît, ces dernières années, une explosion des achats en ligne par les particuliers. L'activité a atteint un point de bascule au moment de la crise Covid.
"Il y a dix ans, 90% de nos clients étaient des entreprises. Aujourd’hui, 60% sont des particuliers, soulève Frédéric Genel, directeur régional de DHL Global Forwarding. Les sites marchands ont commencé à fonctionner. Et là, la donne a changé, le concept du business to customer (vente directe de l'entreprise au particulier) n'a cessé de s'amplifier tous les ans. On a connu un pic d'activité en 2020. On ne pouvait plus bouger, les gens ne voyageaient plus", en raison du confinement.
Des économies de taille à l'échelle locale
C'est à cette période que Christiane validait son premier panier virtuel sur le site Shein. Le pionnier chinois de la mode ultra-éphémère a convaincu cette maman de 27 ans. "Au début, je faisais trois grosses commandes par an. Maintenant avec la vie chère et comme mon copain a perdu son emploi, on attend le Black Friday pour profiter des soldes à -80%. Ça n'existe pas ces promos ici."
Ses achats localement se résument désormais à l'alimentation et aux produits ménagers. Tout le reste, elle l'achète en ligne. "Ça revient toujours moins cher qu'ici, même en payant les taxes", estime la jeune Nouméenne.
Fiona*, 29 ans, a comparé les prix en ligne et en rayons. Résultat des courses, son choix "est vite fait". Elle commande deux à trois fois par an, selon son budget. "J’ai fait le tour des boutiques. 3 500 francs un débardeur, ça fait mal. Sur Shein j’ai pris un pack de trois débardeurs pour 1 700 francs. Même en ajoutant les taxes, c'est plus rentable."
Selon Christiane, les articles du site marchand seraient même proposés en boutique. "C'est juste l'étiquette et le prix qui changent. Je comprends qu'ils ont des charges à payer. Mais si nous-mêmes on peut acheter moins cher qu'ils ne vendent, forcément on n'achètera pas chez eux."
Une fuite de clients vers l'e-commerce qui vient s'ajouter aux difficultés économiques liées à la crise de mai.
C'est malheureux pour l’économie de notre pays. Je pense que ça fait beaucoup d’ombre à nos commerçants spécialisés dans l'habillement.
Fiona*, cliente régulière du site Shein
Des milliers de nouveaux modèles par jour
Le site de prêt-à-porter chinois est alimenté en permanence. 7 000 nouveaux produits sont ajoutés chaque jour, selon un rapport de l'ONG des Amis de la Terre, qui dénonce cette surproduction. Du choix à porter de clics, c'est ce qui séduit Jade*, une habitante de Canala. "On descend rarement à Nouméa et dans ma commune il n’y a que trois magasins. Sur Shein on a du choix, ici c’est toujours pareil", souligne cette maman de 38 ans, qui commande pour ses filles de 7 et 9 ans.
"En un clic on a une panoplie de vêtements pour toute la famille, abonde Fiona*. C’est un cercle vicieux. Tu cliques sur un article que tu aimes bien, le site te propose des articles ressemblants."
À l'arrivée, des centaines de paquets remplis de vêtements Shein s'entassent chaque semaine dans l'entrepôt DHL à Nouville. "En général, dans un petit colis vous avez trois ou quatre articles. Avec ces trafics de prêt-à-porter, on a un phénomène de regroupement des commandes. Les gens, en famille, entre amis, commandent des dizaines d'articles", constate Frédéric Genel.
La livraison soumise à des aléas
Comptez environ deux semaines de livraison. En Océanie, seules l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont régulièrement desservies par des avions-cargos. En Calédonie, le fret en express reste tributaire de la desserte aérienne commerciale.
"Le problème c’est que les gens voient sur Internet Europe-Nouméa en 24, 36 ou 48 heures. On arrive effectivement à Sydney en 24-48 heures et après, il faut attendre qu’il y ait de la place à bord des avions d’Aircalin ou de Qantas, explique le directeur de DHL NC. S’il n’y a pas de place, ça retarde tout. Les marchandises restent sur place jusqu’au prochain vol."
Ça crée des frustrations qui sont bien compréhensibles, sauf qu’on est au fond du couloir.
Frédéric Genel, directeur régional de DHL
Des locaux de DHL, l'expédition peut se poursuivre jusqu'en Brousse et dans les îles, vers des points relais. Fiona* se fait livrer dans une station-service de Koumac. Jade*, qui habite à Canala, regrette que le point relais le plus proche se situe à La Foa.
5000 lignes de produits douaniers
À cet aléa, s'ajoutent des procédures douanières "chronophages". Les déclarants en douane de DHL doivent éplucher les factures de chaque commande. "La paire de chaussettes, de baskets, la ceinture, le sac à main, le jean, ce sont tous des articles différents, qui ne paient pas toujours les mêmes montants de droits et taxes." La nomenclature du Code des douanes de Nouvelle-Calédonie comporte plus de 5 000 articles qu’il faut préciser, à des fins de statistiques d’importation.
C'est pourquoi le transitaire a instauré une tarification progressive en fonction du nombre de catégories d'articles. "Les gens paient les taxes, c’est-à-dire les droits de douane et la TGC, qu’on peut régler en ligne. Et on a mis en place un supplément pour rémunérer nos déclarants en douane pour ces commandes très importantes."
Avant de passer commande, Jade* surveille de près son budget. "Mes filles c’est surtout les robes qu’elles aiment. Je calcule déjà à peu près, s’il y a trois modèles différents, je sais qu’en ajoutant trois robes ça fera 1 500 francs en plus."
Après la réouverture des frontières et les émeutes du mois de mai, le directeur a observé un regain d'activité. D'ici deux semaines, la file d'attente à l'entrée de DHL pourra témoigner des flux de commandes réalisées ce jour de Black Friday.
Les prénoms* ont été modifiés pour les personnes souhaitant rester anonymes.