Consultation citoyenne : ce qu'il faut retenir de l'"écoute profonde" menée auprès des Calédoniens

La restitution a eu lieu au centre Tjibaou, dans une salle Sisia comble.

C'est une partie de la consultation citoyenne restituée lundi à Nouméa : la démarche d'"écoute profonde" conduite à travers plus de 2 200 interviews laisse apparaître les grandes lignes de fracture de la société calédonienne, mais aussi des attentes qui vont au-delà des questions institutionnelles.

La restitution publique de lundi soir au centre Tjibaou a commencé par un gros morceau de la consultation : la fameuse démarche d’"écoute profonde". Au vu du processus institutionnel en cours, le ministère des Outre-mer voulait appréhender les craintes et les questionnements des Calédoniens sur différentes thématiques. NC la 1ere vous en donne les grandes lignes. 

  • 2 207 interviews

Des échantillons d’habitants ont été interrogés, sur des sujets institutionnels, économiques ou sociétaux et sur leur vision de l’avenir :

  • 104 interviews qui ont duré en moyenne une heure dix, effectuées en face-à-face à travers tout le pays.
  • 1 003 interviews se voulant représentatives de la population adulte.
  • 1 100 interviews ciblant des étudiants.

 

  • Des Calédoniens "plutôt inquiets"

La perception générale des Calédoniens interrogés laisse apparaître un niveau de confiance en l’avenir qui est dégradé. Ils ont été 52% à se dire inquiets quant au futur et au développement de la Nouvelle-Calédonie (34% plutôt inquiets et 18% très inquiets). 

Cette inquiétude s’est avérée plus marquée parmi les répondants qui se sont dits électeurs du "Non", les non-inscrits sur la liste référendaire et, à une autre échelle, chez les résidents de la province Sud.

Le fait de se dire assez confiant(e) s’est retrouvé davantage chez les partisans du "Oui", les Kanak, et les habitants de la province Nord. On notera aussi que la réponse neutre - ni confiant(e), ni inquiet(e) - a été marquée en province Îles.

 

  • Les grands blocs se distinguent

Placée entre deux référendums, cette consultation citoyenne présente d’un bout à l’autre, et on pouvait s’y attendre, des points de vue distincts selon que l’on est favorable à l’indépendance ou partisan du maintien dans la France.

Interrogés sur les deux principaux sujets qui les préoccupent, les habitants consultés citent d’ailleurs en premier le fait de savoir si la Calédonie sera ou non indépendante. Avant la double problématique de la santé et la protection sociale, puis la situation économique, ainsi que le système scolaire et l’éducation, ou encore la sécurité des biens et des personnes. 

  • Un vivre-ensemble encore à construire

D’après les réponses recueillies, la notion de vivre-ensemble n’est pas ressentie comme acquise. Pour y arriver, les uns comme les autres évoquent le besoin de respect et de tolérance vis-à-vis de l’autre. En faisant preuve d’ouverture d’esprit, en assumant l'histoire du pays sans haine de l’autre, ou encore par le sport et son aspect fédérateur.

Les répondants se disant indépendantistes accordent une importance particulière à la découverte et au partage des cultures, ainsi qu’à l’égalité des chances et l’égalité d’accès à l’emploi. 

Les non-indépendantistes citent plutôt le dialogue et les échanges, l’importance de modérer les dérapages politiques, le besoin de rechercher une solution consensuelle, de ne pas stigmatiser l’autre, et le rôle des parents pour éduquer.

On souhaite vivre ensemble. Mais pour cela, il va falloir lever des incompréhensions.

Stéphane Renaud, directeur de l'institut de sondage Quid Novi

 

  • Des inégalités ressenties et reliées

L’accès à l’emploi, ainsi que le pouvoir d’achat, génèrent en particulier des rancœurs, dans le ressenti des personnes interrogées. La loi sur l’emploi local s’avère ainsi un catalyseur à double sens : elle est source de frustrations pour des natifs qui ne la trouvent pas respectée, et d’exclusion pour des non citoyens calédoniens.

Le rejet et le racisme, ou les inégalités perçues entre les communautés, sont aussi cités fréquemment, dans une moindre mesure. Suivent les inégalités hommes-femmes, la problématique d’une discrimination positive envers les Kanak et l’accès au logement dans le Grand Nouméa. 

Autres sujets délicats abordés, les difficultés d’accès au foncier notamment en Brousse, les particularités du droit coutumier face au droit commun (les personnes interrogées retiennent une inégalité fiscale à l’avantage des terres coutumières) et les inégalités entre les provinces, perçues comme un excès du rééquilibrage. 

Les gens parlaient sans filtre, c’était parfois assez dur. On a des rancoeurs qui s’expriment.

Stéphane Renaud, institut Quid Novi

 

  • Culture kanak : deux perceptions

Selon cette restitution, la consultation met en exergue le besoin de traiter la question du développement de la culture kanak "séparément du politique, le tout sur fond d’une histoire qui reste à partager".

Les Kanak interrogés ont tendance à s’exprimer sur la pratique de leur culture, sur leur identité, et sur la crainte qu’elles disparaissent. Alors que les non-Kanak font plutôt référence à la mise en valeur de cette culture. "Ils considèrent", formule la restitution, "que beaucoup de choses ont été faites (…), et ne comprennent pas pourquoi on leur 'rabâche' encore ce thème".

Le problème de fonds est la politisation de la culture qui empêche, à un moment donné, les gens d’aller les uns vers les autres.

Stéphane Renaud, institut Quid Novi

 

  • Pour un geste qui referme la période coloniale

"Il y a des problématiques de fonds qui s’expriment", a souligné Stéphane Renaud, de la société Quid Novi, en évoquant la question des traumatismes du passé. Ainsi, 58% des personnes qui se sont exprimées durant cette "écoute profonde" sont "favorables à un geste pour clore la période coloniale" (31% y sont plutôt favorables et 27%, très favorables). 

Quelle forme devrait-il prendre ? Il ressort des réponses que cette démarche devrait s’adresser au peuple autochtone et aux victimes de l’Histoire. Il est par ailleurs question d’"un geste à caractère officiel, en présence de parties prenantes et du président de la République"

  • La délicate question de la revendication foncière

Sujet explosif s’il en est, la revendication des terres est une question qui n’est pas totalement réglée aux yeux de la moitié des personnes interrogées se disant indépendantistes. C’est l’avis formulé par :

  • environ la moitié des Kanak de plus de trente ans.
  • 47% des répondants qui vivent en province Nord.
  • 47% qui disent avoir voté "Oui" aux référendums.

Alors que chez les répondants qui se disent électeurs du "Non" à l’indépendance, ou non-inscrits sur la liste référendaire, il s’agit d’un débat qu’il faut clore (55%).

Le foncier est un sujet très sensible, et qui n’est pas toujours là où on l’attend.

Stéphane Renaud, institut Quid Novi

 

  • La présence de la France serait souhaitée quoi qu’il arrive

Selon la synthèse de la consultation, les évocations associées à la France dans les différentes réponses sont globalement positives. Elles sont alors associées à des dimensions :

  • pratique (l’appartenance de la Calédonie à la France est assimilée à une facilité pour voyager).
  • d’ouverture (la possibilité d’étudier en France ou au sein de l’Union européenne).
  • de sécurité (en interne, concernant le respect des règles de droit et le maintien de l’ordre, ou en externe, avec la surveillance de la Zone économique exclusive et la protection militaire).
  • partenariale (au niveau des finances et des techniques).

En revanche, lorsque les évocations de la France ont été négatives, elles étaient associées à deux axes distincts :

  • l’un lié à l’Histoire, c’est-à-dire associé à la colonisation et à un pillage des ressources.
  • l’autre mis en cheville avec une société libérale et de consommation, à laquelle la France est associée. 

 

  • 58% des répondants se sentent citoyens français

La question "Vous sentez-vous citoyen(ne) français(e) ?" obtient un "oui" franc à 58% (28% répondent "très fortement"; 30%, "fortement"), un "moyennement" à 28%, un "peu" pour 7%, et une fin de non recevoir ("pas du tout"), à 6%.

D’après ces réponses, il apparaît qu’être Français(e) en Calédonie, "c’est avant tout bénéficier d’un ensemble d’avantages, dont la protection et le rôle de garant de l’Etat au travers de ses compétences régaliennes. Ce sont aussi des interrogations, voire une forme de rejet". L’attachement prend des formes différentes selon que la personne s’exprimant est un partisan de l’indépendance, un électeur du "Non" ou un non-inscrit. 

 

  • Un lien à la France "indispensable" pour 53% des répondants

Parmi l’échantillon interrogé, le lien de la Calédonie à la France est jugé majeur à 94% : il est "indispensable" pour 53% et "important" pour 41%. En conséquence, les attentes sont fortes, quel que soit le résultat de la dernière consultation référendaire prévue par l’accord de Nouméa.

 

  • La France attendue au lendemain du dernier référendum

Les attentes exprimées envers la France en cas de victoire du "Non" lors du dernier référendum se réfèrent en partie à des compétences qui reviennent… à la Nouvelle-Calédonie : réduire les inégalités, agir sur le pouvoir d'achat, lutter contre la vie chère, intervenir en matière de logement d'environnement ou de santé. Il est aussi attendu de la France qu'elle assure les fonctions régaliennes (armée, police, justice). Et puis qu'elle accompagne la Calédonie financièrement, dans les aides au développement, et sur le chemin d'une autonomie plus grande.

En cas de victoire du "Oui" à l'indépendance, l'aspect d'accompagnement qui est attendu de Paris s'avère assez proche. La notion de garantie de la paix et des relations entre communautés apparaît aussi nettement, conclut l'étude. 

  • Des Calédoniens plutôt prêts à accepter le résultat du scrutin

Selon les résultats de cette étude, la moitié des personnes interrogées (48%) ne disposeraient pas d'un niveau d'informations suffisant après deux consultations référendaires (34% estiment ne pas en avoir "vraiment" et 14% trouvent qu'ils n'en ont pas "du tout"). Ils sont 12% à penser avoir toutes les informations nécessaires, et 39% à juger qu'ils en ont la plupart. 

53% estiment qu'il faut négocier une solution commune. Pour 29%, la discussion est possible mais il faut quand même un troisième référendum. 14% souhaitent cette ultime consultation sans discussion avant.

Et après ce dernier scrutin qui se profile, l'écrasante majorité (90%) pense qu'elle en accepterait les résultats (7% ne savent pas).

  • La double nationalité plébiscitée

En cas d'accession à la pleine souveraineté et à l'indépendance, 60% de l'échantillon aimeraient avoir une double nationalité. Et 23% souhaiteraient garder la nationalité française (dont 37% des personnes interrogées qui sont pour le maintien dans la France). Enfin, 14% assurent vouloir la seule nationalité du nouvel Etat (dont 34% d'électeurs du "Oui"). 

  • Pessimisme en cas de "Oui"

Toujours dans l'hypothèse d'une victoire du "Oui", beaucoup anticipent une dégradation de leurs conditions de vie et une partie pourrait alors quitter le Caillou.

A la question "Comment serait votre situation en cas d'indépendance ?", ils ont été :

  • 42% à répondre "moins bonne" (parmi lesquels 66% des personnes qui ont voté "Non"). 
  • 34% à penser qu'elle ne changerait pas. 
  • 10% à juger qu'elle va s'améliorer. 

Le sondage avance une projection de 10 000 départs certains de Calédonie, 24 000 possibles et 59 000 personnes qui ne savent pas si elles resteraient. En effet, 54% des répondants se disent certains de rester. 12% auraient plus de chances de rester que l'inverse. 9% répondent qu'il y a plus de chances qu'ils partent. 4% sont sûrs de s'en aller. 22% ne se prononcent pas. 

On pourrait avoir jusqu'à 30 % de la population qui quitterait le pays si l'indépendance se traduisait par une notion qui ne leur convient pas.

Stéphane Renaud, institut Quid Novi

 

  • Une vision différente pour les étudiants

Un coup d'œil particulier sur la jeunesse, plus précisément les étudiants. Ils ont été 1 100 à répondre, soit un interrogé sur huit. On retiendra que leurs réponses se distinguent de la population générale sur trois critères principaux :

  • la citoyenneté, qui est associée par de nombreux étudiants à la loi sur l'emploi local.
  • l'acceptation des votes lors du référendum. Pas de rejet franc, mais 23% ne savent pas s'ils accepteront le résultat.
  • En conséquence, les anticipations de départ - ou de non retour - en cas d'accession à l'indépendance sont plus importantes que dans la population générale (34% soit certains soit probables).

A noter que le niveau de diplôme retenu, ou encore la présence de l'étudiant ou non en Calédonie, a eu peu d'incidence sur le résultat. Ce qui s'est avéré le plus important était la communauté d'appartenance.

Version résumée, en un plateau de situation, par Nadine Goapana et Louis Perin :