Cop29 : pourquoi l'accord de Bakou, jugé décevant, n'emballe pas les pays du Pacifique

Les groupes de la société civile présents à la Cop29 à Bakou, en Azerbaïdjan, plaident en faveur d’initiatives de financement climatique conformes à l’Accord de Paris.
Trois cents milliards de dollars par an, dans dix ans : les pays développés se sont engagés, dimanche, à Bakou, à financer davantage les pays en déveoppement menacés par le changement climatique. Dans le Pacifique, on espère que l'Australie se verra confier l'organisation de ce rendez-vous en 2026, pour que la réalité des petits États insulaires soit au centre des discussions. Réactions.

Le financement promis pour 2035 "est trop faible, trop tardif et trop ambigu", a regretté le Kényan Ali Mohamed, parlant au nom du groupe africain. "Le montant proposé est lamentablement faible. C'est dérisoire", a dénoncé la déléguée indienne Chandni Raina, en éreintant la présidence azerbaïdjanaise de la Cop29. Déjà l'année dernière, les petits états insulaires avaient dénoncé un accord insuffisant. Le ministre des Affaires étrangères de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Justin Tkatchenko, avait boycotté, pronostiquant une "perte de temps totale". Pour d'autres, l'édition 2024 était particulièrement attendue.

Pour le Climate action network (CAN), qui rassemble un grand nombre d'ONG de défense de l'environnement, cette Cop a été "la plus horrible depuis des années". Asneem Essop, directrice exécutive du réseau, a accusé les pays développés de "mauvaise foi" et d'une volonté de "trahir" les pays du Sud. Cet engagement financier de pays européens, des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie, du Japon et de la Nouvelle-Zélande, sous l'égide de l'ONU, est d'augmenter de 100 milliards aujourd'hui [un engagement pris en 2009] à "au moins 300 milliards de dollars" (34 billions de francs Pacifique) annuels d'ici 2035 leurs prêts et dons aux pays en développement.

S'adapter, et investir

De l'argent pour s'adapter aux inondations, aux canicules et aux sécheresses. Mais aussi pour investir dans les énergies bas carbone, au lieu de développer leurs économies en brûlant du charbon et du pétrole, comme les pays occidentaux l'ont fait pendant plus d'un siècle. Les petits États insulaires ont déploré un "manque de volonté de répondre aux besoins des pays en développement vulnérables", par la voix du Samoan Cedric Schuster.

Les Occidentaux dont les Européens, premiers bailleurs mondiaux de finance pour le climat, n'étaient pas prêts à aller au-delà de ce montant, en période de resserrement budgétaire et de secousses politiques. Mais ils estiment avoir contribué à un résultat historique. Du point de vue de la France, le texte est "décevant" et "pas à la hauteur des enjeux", a dit la ministre française de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher.

[Il y a un manque] de volonté de répondre aux besoins des pays en développement vulnérables

Cedric Schuster, ministre de l'environnement des Samoa, au nom des petits Etats insulaires du Pacifique

"Montagne de travail"

Mais l'accord de la Cop29, scellé pendant la seconde nuit de prolongation d'une conférence commencée le 11 novembre, laisse un goût amer à de nombreux participants. Les pays les plus pauvres de la planète et les îles du Pacifique, des Caraïbes ou d'Afrique demandaient le double ou plus. "Aucun pays n'a obtenu tout ce qu'il voulait, et nous quittons Bakou avec une montagne de travail à accomplir. Ce n'est donc pas l'heure de crier victoire", a déclaré le chef de l'ONU Climat, Simon Stiell.

"C'est un coup d'épée dans l'eau", confirme Jérémie Katidjo-Monnier, le membre du gouvernement calédonien en charge du développement durable, de l'environnement et de la transition écologique. "C'est une déception pour tout le monde. Les pays les moins avancés demandaient plus d'aides, et pas sous forme de prêts, car cela limite l'accès pour ceux qui n'en ont pas les moyens. La Chine, qui fait partie des gros pollueurs, ne figure toujours pas sur la liste des pays qui s'engagent à financer" la transition climatique.

C'est un coup d'épée dans l'eau, et une déception pour tout le monde. Les pays les moins avancés demandaient plus d'aides, et pas sous forme de prêts, car cela limite l'accès à ces fonds pour ceux qui n'en ont pas les moyens.

Jérémie Katidjo-Monnier, membre du gouvernement calédonien en charge de l'environnement

"La Cop29 semble être une conférence annuelle de transition, où certaines lignes ont pu bouger, mais de manière réduite, et où globalement rien de révolutionnaire n'a été mis en exergue", analyse Hervé Ra'imana Lallemant-Moe, docteur en droit public et chercheur associé à l'université de la Polynésie française et l'université Lyon 3. "La Cop30 au Brésil sera certainement plus à scruter. Les territoires insulaires, et notamment ceux du Pacifique, ont toujours eu de l'importance. Mais ils ont gagné en puissance diplomatique en la matière depuis la Cop21 à Paris. Fidji avait organisé la Cop23 à Bonn, en Allemagne. Le rôle de ces territoires s'est progressivement renforcé depuis."

De l'argent difficile à récupérer

La semaine dernière depuis Bakou, Baron Waqa, le secrétaire général du Forum des îles du Pacifique, assurait que les nations insulaires du Pacifique ont besoin de "financements substantiels" pour lutter contre le changement climatique. "Dans cet esprit, ici à la Cop29, nous espérons que le nouvel objectif chiffré collectif offrira un financement accessible et simplifié qui reflète notre situation unique."

La militante néo-zélandaise Cindy Baxter, qui n'a raté que sept conférences des parties, a déclaré au média RNZ que les fonds déjà versés à "divers groupes", notamment à la Banque mondiale et au Fonds vert pour le climat de l'ONU, étaient inaccessibles, ou presque. "Beaucoup de petits États insulaires du Pacifique ont eu énormément de mal à retirer de l'argent de ces fonds, parce que les critères sont très élevés et qu'il est très difficile d'y accéder".

En 2023, le secrétaire général des Nations Unies António Guterres avait présenté six mesures essentielles, un "programme d'accélération" qui s'adressait aux gouvernements, aux entreprises et aux responsables financiers. Il appelait à une "réforme du système financier international afin de rendre le financement de l’action climatique et du développement plus abordable, plus adéquat et mieux adapté pour faire face à l’ampleur de la crise climatique."

Sortie des énergies fossiles

Second couac : l'un des autres textes qui devait être adopté, censé approfondir la sortie des énergies fossiles lancée par la Cop28 de Dubaï, n'a pas été validé. L'arrière-plan inédit de cette 29e Cop était une année 2024 qui sera vraisemblablement la plus chaude jamais mesurée. Et, neuf ans après l'accord de Paris, qui vise à limiter à 1,50°C le réchauffement de la planète par rapport à l'ère pré-industrielle, l'humanité va encore brûler plus de pétrole, de gaz et de charbon que l'année passée.

"Sur les énergies fossiles, certains considèrent que c'est un pas en arrière, relaie Jérémie Katidjo-Monnier. Cette Cop n'a vraiment pas été à la hauteur des enjeux. On attend celle qui se tiendra au Brésil l'an prochain. Les ministres de l'environnement du Groupe Fer de lance mélanésien devaient se réunir en décembre [pour évoquer les accords de Bakou]. Mais la dissolution du parlement vanuatais va repousser l'échéance à février 2025."

Les territoires insulaires, et notamment ceux du Pacifique, ont toujours eu de l'importance. Mais ils ont gagné en puissance diplomatique en la matière depuis la Cop21, à Paris. Fidji avait organisé la Cop23 à Bonn, en Allemagne. Le rôle de ces territoires s'est progressivement renforcé depuis.

Hervé Ra'imana Lallemant-Moe, chercheur associé à l'université de la Polynésie française et l'université Lyon 3

Une Cop dans le Pacifique ?

Deux pays sont candidats à l'organisation de ce grand raout annuel en 2026 : la Turquie et l'Australie. Le gouvernement australien souhaite accueillir le sommet en partenariat avec les nations du Pacifique. La France et la Nouvelle-Calédonie ont apporté leur soutien à cette candidature. La question devait être tranchée à huis clos lors de la Cop29, mais rien n'a été communiqué de manière officielle.

Pour Baron Waqa, le secrétaire général du FIP, le Pacifique est à l'avant-garde de la crise climatique et "pour cette raison, nos dirigeants se réjouissent de l'opportunité de co-organiser une Cop31 du Pacifique en Australie. Ce partenariat nous permettra de vous accueillir tous sur nos côtes, et de souligner la menace urgente que les changements climatiques font peser sur nos communautés et notre avenir."