Crash du Concorde : « On a appris à vivre avec ce drame »

Loin de Gonesse et des lieux du crash, Michèle Fricheteau vit aujourd'hui en Calédonie.
Michèle Fricheteau est l’une des rares rescapés du crash du Concorde survenu il y a vingt ans, à Gonesse, dans la banlieue de Paris. Elle dirigeait l’hôtel sur lequel l’avion supersonique s’est écrasé, faisant 113 victimes. Peu après, l'ancienne gérante a reconstruit sa vie en Nouvelle-Calédonie. 
Nouvelle-Calédonie la 1ère : Le 25 juillet 2000, à 16 h 44, le Concorde s’écrasait sur votre établissement, l’Hôtelissimo. Quelles sont les images qui vous reviennent aujourd’hui en mémoire ?
Michèle Fricheteau : Il y en a plusieurs. La première, c’est celle de la salle qui partait en fumée. Je venais de la préparer pour accueillir de jeunes touristes anglais. Je me souviens des meubles qui brûlent. Cette langue de feu qui m’arrive sur le visage... Je me sens complètement dédoublée, je ne ressens pas la douleur. La seule chose qui m’intéresse, c’est d’aller chercher les femmes de ménage qui sont dans les étages… La deuxième image, c’est celle, quelques minutes plus tard, de ces deux cent personnes sur le site, des pompiers, des policiers… Je ne comprenais rien à ce qui se passait.
 

Je ne comprenais rien à ce qui se passait.

 

Vous ne saviez pas que le Concorde venait de percuter votre hôtel ? 
Pas du tout. Ni moi ni mon apprenti, qui m’a dit de sortir par la fenêtre. On ne savait pas d’où ça provenait. On avait bien entendu le Concorde passer, puisqu’on l’entendait tous les jours, à 17 heures. Là, j’ai regardé ma montre et j’ai trouvé quand même qu’il passait tôt. Ce n’est qu’après que j’ai appris qu’il avait décollé en feu, que c’était un charter et pas un vol régulier.
J’étais stupéfaite, je ne comprenais pas ce qui se passait. Il y avait une fumée opaque qui recouvrait tout. Il n’y avait rien à faire. C’est une fois dehors que j’ai vu par terre un morceau de carlingue. Mais à aucun moment, je n’ai pensé au Concorde parce que pour moi, c’était impossible. 
 
Michèle Fricheteau a conservé de nombreuses photos de ces années passées dans cet hôtel de Gonesse.

Quelles ont été les conséquences pour votre hôtel et votre personnel ?
L’avion est tombé sur mon terrain et a écrasé l’hôtel en glissant. Il a été entièrement détruit. Les secours m’ont mise sur une civière car j’avais la tête, le bras et le cou brûlés. Je leur ai demandé d’aller chercher les gens dans l’hôtel. Ils m’ont dit que c’était impossible d’aller chercher qui que ce soit, que c’était trop tard.
C’est comme ça que j’ai appris que nos deux femmes de ménage et nos deux stagiaires étaient décédées. L’une avait une trentaine d’années et a laissé derrière elle deux enfants. Elle aurait pu se contenter des aides sociales, mais elle tenait à travailler pour montrer l’exemple à ses enfants. L’autre avait vingt ans. Enfin, nos deux stagiaires venaient d’une école hôtelière en Pologne. Elles n’avaient que dix-huit ans. Leur disparition, c’est la seule chose que je regrette aujourd’hui. Le reste, ce n’est que du matériel. 
 

Les secours m’ont mise sur une civière car j’avais la tête, le bras et le cou brûlés. Je leur ai demandé d’aller chercher les gens dans l’hôtel. Ils m’ont dit que c’était impossible d’aller chercher qui que ce soit, que c’était trop tard. C’est comme ça que j’ai appris que nos deux femmes de ménage et nos deux stagiaires étaient décédées.

 

Comment avez-vous vécu l’enquête, puis le procès ?
On n’a jamais vu le juge d’instruction. Notre hôtel a été mis sous scellés. Et ils ont gardé les scellés pendant huit ans. Au moment du procès, on m’a demandé d’être partie civile mais j’ai refusé, parce que les personnes qui avaient été mises en examen étaient des lampistes.
Ce n’était pas de leur faute s’il y avait eu cet accident. Les avions n’étaient pas entretenus comme ils auraient dû l’être. Le Concorde est un avion qui coûtait très cher. Donc j’ai été très heureuse de voir que les prévenus avaient été relaxés.
Pour moi, ce n’était pas les responsables. Un article du Monde, à l’époque, listait près de 80 crevaisons, dont une qui avait failli être catastrophique au Canada. Je trouve dommage qu’ils aient attendu que survienne un problème aussi grave pour faire les travaux nécessaires. 
 

Au moment du procès, on m’a demandé d’être partie civile mais j’ai refusé, parce que les personnes qui avaient été mises en examen étaient des lampistes. Ce n’était pas de leur faute s’il y avait eu cet accident.


Avez-vous obtenu réparation ?
Oui, nous avons été remboursés pour le préjudice matériel. Il y a beaucoup de gens qui se sont imaginés que j’avais fait fortune avec cet accident. En réalité, on n’a jamais vu une assurance payer plus que ce qu’elle doit. La seule chose qui n’a pas été à la hauteur, c’est la prise en compte du préjudice moral. 
 
L'Hôtelissimo, avant l'accident.

Vous êtes partie vous installer en Calédonie, après cet accident. Pourquoi ce choix ?
On s’était déjà rendu en Calédonie un mois avant l’accident, avec mon mari. On avait prévu de s’installer ici. Mais le crash a retardé ce projet et nous sommes arrivés à Nouméa le 11 novembre 2001. Nous avons d’abord cherché à reprendre un hôtel, mais nous n’avons pas trouvé ce qui nous plaisait. Donc nous avons ouvert des restaurants.
Notre cuisinière [de l’Hôtelissimo, NDLR] nous a suivis, mais elle n’est restée qu’un an car elle trouvait la vie en Calédonie trop chère pour elle. Et il y a Paul, un de nos stagiaires polonais, qui s’est proposé de nous aider pendant un an et il est toujours là aujourd’hui. Il s’est marié avec une Calédonienne. 
 
L'un des restaurants ouvert par le couple à Nouméa, avec d'anciens employés de l'Hôtelissimo.

Qu’est-ce que ce déménagement à l’autre bout du monde vous a apporté ?
On a changé notre mode de vie pour quelque chose de plus calme, de plus serein, plus proche de la nature. Aujourd’hui, en tant que juriste, je peux m’occuper des gens qui ont besoin d’aide, principalement des locaux. 
 
Vingt ans après l’accident, que ressentez-vous aujourd’hui ?
Je ne ressens rien de particulier. Je n’ai aucune colère, aucune amertume. Cet avion, je l’avais aimé et je l’aime toujours. Je n’ai même pas de colère vis-à-vis d’Air France. C’est un concours de circonstances si l’accident a eu lieu chez moi. On a appris, au fur et à mesure du temps, à vivre avec ce drame qui fait partie de notre vie de tous les jours. Il y a toujours un moment, un mot, une phrase, une image qui revient et qui nous rappelle qu’on a vécu ce drame.
Que les choses soient claires : aujourd’hui, on va bien. On n’a jamais eu de problèmes psychologiques suite à cet accident. Notre seule thérapie, c’est d’avoir été en famille, mon mari, mes enfants et moi. 
Nous avons de la chance de vivre ici. 
 

Que les choses soient claires : aujourd’hui, on va bien. On n’a jamais eu de problèmes psychologiques suite à cet accident. Notre seule thérapie, c’est d’avoir été en famille, mon mari, mes enfants et moi. 

 

Aviez-vous prévu de commémorer le vingtième anniversaire du crash ?
Oui, nous devions partir en Métropole. Nous avions notre billet d’avion avec mon mari. Mais à cause du coronavirus, nous n’avons pas pu partir. Nous avons donc décidé de reporter cela à l’année prochaine. Nous irons nous recueillir sur le site, à Gonesse. 

Egalement en version télé, par Coralie Cochin et Philippe Kuntzmann :
©nouvellecaledonie